La société Hénaff est connue pour son pâté, ses rillettes, ses saucisses. L’histoire d’une saga familiale. Elle a aussi sa pièce de théâtre, jouée par la troupe Orange Givrée. Une autre histoire…
Juin 2002. Quelque part sur la côte bretonne. Trois jeunes en goguette s’apprêtent à se restaurer. Le casse-croûte est frugal mais l’essentiel est présent. La baguette de pain et la bouteille de rosé accompagnent l’indispensable petite boîte jaune et bleu, sans laquelle un pique-nique n’est pas vraiment un pique-nique. L’eau à la bouche, l’un d’entre eux se saisit de la petite boîte. Et là…, c’est la stupéfaction ! La languette, qui, en se déroulant sur le côté, permettait de découvrir le fleuron de la gastronomie bretonne, a disparu.
L’ouverture se fait désormais par le dessus, condamnant sa fermeture ultérieure. Enfer et damnation ! L’incrédulité et la consternation font rapidement place à la colère. Les trois acolytes décident d’en référer en haut lieu ; écrivent à Jean-Jacques Hénaff, Seigneur de Pouldreuzic. « Comment ? … Pourquoi ? … Nous n’avons pas été concertés ! … Vous n’aviez pas le droit ! … Nous faire ça à nous ! … ». La missive est salée. La promenade dominicale s’achève dans la désolation… Nos trois jeunes s’en retournent dans leurs chaumières, têtes basses et mines déconfites…
Lettre de consolation
Quinze jours plus tard. La fraîcheur du matin est porteuse de nouvelles. Un colis de la capitale du cochon breton… Anthony Serazin, l’un de nos trois désespérés, décachette la lettre qui accompagne une centaine de petites boîtes bleues. Elle est signée Jean-Jacques Hénaff (le père). « Je comprends votre désarroi… Nous ne voulions pas vous faire de peine…. ». La suite est à l’avenant. Et en guise de consolation : « Veuillez accepter ce modeste présent ». La plus perfide des normes européennes, imaginée dans des cerveaux privés d’air iodé ayant perdu le sens commun, a frappé. Aucun recours possible. La vie ne sera décidément plus jamais comme avant…
4 000 convives à la Garden Pâté
Dix ans plus tard. Les fêtes maritimes emportent Douarnenez dans une fièvre collective. Anthony Serazin, devenu comédien professionnel après une expérience à la radio et comme animateur culturel dans une petite ville bretonne, anime les quais du Port Rhu avec sa troupe de théâtre Orange Givrée. Soudain, devant lui, Ginette et Jean-Jacques Hénaff en personnes, applaudissent la prestation. L’occasion est trop belle. Anthony les aborde. Après quelques échanges en bonne et due forme, il évoque le fameux courrier, rédigé un soir de délire, dix ans plus tôt. « Vous vous en souvenez ? ». Bien sûr, qu’ils s’en souviennent ! On en rigole. On trinque… On promet de se revoir… Quelques jours plus tard, Ginette (la mère), au téléphone. « On vous donne carte blanche pour animer, avec votre troupe, la Garden Pâté sur la plage de Penhors, pour le centenaire de l’entreprise ». 4 000 invités, reçus en grande pompe par Anthony et ses acolytes, déguisés en serveurs. Délirant.
Orange Givrée
La compagnie, créée en 2013, basée à Peillac (56), porte principalement les projets artistiques du comédien Anthony Sérazin. La compagnie a pour objet de :
- Renforcer les liens entre la culture et les habitants installés en milieu rural, en organisant des activités et manifestations culturelles et artistiques, – favoriser l’accès à la culture pour tous, transmettre et valoriser les richesses patrimoniales locales auprès du grand public par les arts vivants,
- Créer et présenter des spectacles vivants pluri-disciplinaires,
- Mutualiser les ressources et les compétences culturelles et artistiques locales, – permettre le renforce-ment de la solidarité et de la citoyenneté par la culture.
Des dizaines de lettres au musée
Les époux Hénaff se souvenaient du courrier. Pas étonnant. Ils les conservent. Des courriers, et la copie des réponses que Jean-Jacques expédie, sans omission, depuis l’origine. Classés parmi les archives, dans une vieille chaumière transformée en musée. Des perles… qu’ils proposent au comédien de consulter. Les lettres sont souvent drôles – cette dame qui pose réclamation car le pâté est moins bon à Nantes qu’à la pointe du Finistère – ou cette autre qui explique comment bluffer les douaniers américains qui refusent toute importation – et parfois nostalgiques, écrites pendant la guerre – on expédie des boîtes par dizaines pour apporter un peu de réconfort aux soldats – Les couleurs de Pouldreuzic voyagent partout dans le monde, dans les cales des bateaux ou dans les soutes des avions. L’idée de créer une pièce de théâtre germe dans l’esprit du comédien. Des heures de lecture dans le musée de l’entreprise accouchent de la pièce « La petite boîte bleue : 100 ans de correspondances », jouée à Ploërmel (56), vendredi dernier devant un auditoire conquis et, quelque part, un peu fier, lui aussi, de cette petite boîte jaune et bleu et de son terroir… Bien plus que du pâté… Bernard Laurent