Les éleveurs ont été les premiers choqués par les vidéos tournées dans les abattoirs. Du moins les éleveurs qui ont pu les regarder. Car l’éleveur est bien souvent le premier gardien du bien-être animal.
On se souvient de cette éleveuse finistérienne qui avait pris sa plume pour dénoncer l’abattage rituel imposé à ses vaches de réforme. De nombreux éleveurs, soucieux du bien-être de leurs animaux avaient approuvé l’initiative de cette agricultrice dont le point de vue était paru dans la presse régionale. Quelques années plus tard, la diffusion des vidéos en camera cachée, filmées dans trois abattoirs, soulève une vague d’indignation auprès du grand public, mais aussi des agriculteurs. Des agriculteurs sidérés d’apprendre que leurs animaux sont susceptibles d’être aussi maltraités. D’apprendre un peu plus sur cet univers qui « manque de transparence » comme l’exprime Olivier Farloni, député de Charente-Maritime, qui observe qu’il « est presque plus facile de visiter un sous-marin nucléaire qu’un abattoir français ».
Pour manger de la viande, il faut tuer l’animal
À l’image du scandale de la vache folle où le consommateur a découvert que les bovins mangeaient des farines animales, ici, le consommateur a compris que pour manger de la viande, il faut déjà abattre l’animal. « Aujourd’hui, les gens veulent manger de la viande, mais ne veulent surtout pas que les animaux meurent », constate Luc Hincelin, responsable de la commission élevage à la Chambre d’agriculture du Gard et éleveur.
Interviewés séparément, l’économiste Pierre Combris, directeur de recherche à l’Inra, au sein de l’unité alimentation et sciences sociales, et le sociologue Jean-Pierre Corbeau partagent une même référence pour analyser les conséquences des récents scandales de maltraitance: la crise de la vache folle. Et tous deux estiment que ces crises ponctuelles (scandale sanitaire, environnemental…) ne changent pas les tendances observées sur le temps long. « En 1996, nous pensions tous que la crise de la vache folle accélérerait la baisse de la consommation que l’on observait depuis 1981, explique Pierre Combris. Mais ce que l’on finalement observé, c’est une consommation qui a chuté brutalement, et qui retrouve rapidement sa tendance d’avant la crise ».
Pas prêts de lâcher la viande rouge
Pour Jean-Pierre Corbeau, « comme lors de la crise de la vache folle, il y a aura une crise de la consommation et un déplacement vers des produits de qualité, vers le bio », mais probablement pas d’accélération de la baisse des volumes. Pour le sociologue, les fondements de la consommation de viande rouge restent solides: « Les habitudes sont fortes, estime-t-il. Certes, une partie de la population se végétalise de plus en plus, mais elle garde des habitudes de consommation de viande, notamment au restaurant ; il faut remarquer par exemple comment les burgers gastronomiques ou terroirs cartonnent actuellement. D’autres catégories sociales modestes sont encore dans la revanche sociale en accédant à la viande ».
Reste que « ces événements, ces images traumatiques, vont rajouter une couche à un problème de fond, qui existe depuis plusieurs décennies, celui d’un rapport à l’animal qui se modifie lentement vers l’anthropomorphisation », explique Jean-Pierre Corbeau. L’impact des images cruelles est d’autant plus réceptible que l’élevage et l’abattage ne sont plus présents en ville ». Avec en filigrane, le développement de comportements végétariens chez certains Français : « On dispose de peu de données quantitatives sur ces comportements, mais ils restent peu nombreux, quelques pourcents, estime l’économiste. En revanche, ce que l’on observe ces dernières années, c’est un approfondissement des convictions des végétariens, qui deviennent véganes, et s’interdisent désormais toute nourriture d’origine animale ».
Le vin, l’avenir de la viande
L’économiste Pierre Combris et le sociologue Jean-Pierre Corbeau comparent l’évolution future de la consommation de viande rouge à celle du vin, ces cinquante dernières années. «Depuis les années 50, la consommation de vin a baissé de moitié en France, aujourd’hui tout le monde s’est reconverti, et l’on fait de la qualité, analyse l’économiste. Une baisse de la consommation ne condamne pas une filière à la misère. » Jean-Pierre Corbeau remarque que « dans les années 2000, si on prolongeait les courbes, nous étions sur un scénario où plus un seul Français ne boirait de vin en 2010… Et on en est loin! »