Tout n’est pas rose dans la Bretagne laitière. Dans les autres bassins européens, les éleveurs tirent aussi la langue. Partout, la maîtrise du coût de production fait la différence.
500 éleveurs représentatifs de la ferme laitière européenne, réunis au sein de L’Européan Dairy Farmers (EDF), mettent leurs propres chiffres sur la table. Ces chiffres parlent et permettent d’établir des comparaisons entre pays. Non, les Bretons ne sont pas les plus mal lotis, à en croire Katrin Lecornu la présidente de ce groupe d’échanges, intervenante à l’assemblée générale du syndicat Prim’holstein 56. Climat propice ou encore prix de location du foncier (180 €/ha en moyenne) sont à leur avantage. Un manque d’innovation et de projection dans l’avenir peut leur être reproché, à force de pessimisme.
« Les Français ont investi en 2014, avant la libéralisation des quotas. Mais ils n’ont pas pu produire autant qu’ils l’espéraient en raison de la gestion des volumes par les laiteries. Leur coût de production s’est élevé sans produits supplémentaires ». En clair, ils se seraient moins bien préparés que leurs voisins, plus prudents, selon l’éleveuse du Calvados, aux incidences de la volatilité des prix.
Main-d’œuvre non rémunérée
Certaines tendances sont observées dans toutes les régions européennes. « Sur la dernière décennie, le coût de production augmente régulièrement de 15 €/1 000 litres chaque année dans tous les pays. C’est une réalité. Le prix d’équilibre est passé de 287 € à 403 €/1 000 L chez nos 500 adhérents, en tenant compte d’une rémunération de la main-d’œuvre familiale de 16 €/heure ». Avec, dans cette rémunération familiale, une bonne dose de travail bénévole « dont on ne parle jamais mais qui posera un problème partout, le jour où il faudra la remplacer par un travail salarié ». 89 % des fermes adhérentes à EDF ont une main-d’œuvre non rémunérée. Partout, les élevages s’agrandissent, la production par vache augmente, le pâturage diminue (en raison d’un manque de maîtrise) et la technologie s’impose. « Cette tendance pourrait s’inverser en fonction de la demande sociétale qui émerge : les consommateurs veulent du bien-être animal et pourraient exiger la présence des animaux dans les prés ».
Taille non déterminante
Selon l’European Dairy Farmers, seulement 45 % des fermes sont rentables sans aides découplées. « Ces aides diminueront dans tous les pays dans quelques années… » Quelle est l’explication de la rentabilité de ces fermes ? « Elles ont un système cohérent qui n’a rien à voir avec la taille de l’élevage. Nous n’observons pas d’économies d’échelle en lait. Dans les grosses structures, les bénéfices, quand tout va bien, et les pertes, dans le cas inverse, sont élevés. Dans les petites structures, ces bénéfices et ces pertes sont moindres. Dans un contexte de volatilité des prix, au plus bas actuellement, les gros élevages sont fragilisés. D’autant plus qu’ils font appel à une main-d’œuvre salariée dont la charge n’est pas compressible ».
Pour les adhérents de l’EDF, le défi actuellement est de dépenser moins, de maîtriser le coût de production. « Il faut limiter les investissements et supprimer les plus improductifs. Le revenu dépend du coût de production, plus que du prix de vente du lait. C’est ce qui ressort de notre étude ». Un coût qu’il faut d’autant plus maîtriser que la vocation de la ferme laitière française est d’exporter. « Nous ne pouvons pas nous contenter de nous replier sur le marché intérieur. Nous pouvons exporter, nous en avons les atouts ». L’herbe n’est pas plus verte ailleurs, selon la présidente, norvégienne d’origine.
Ailleurs en Europe. Propos de Katrin Lecornu.
[caption id= »attachment_16693″ align= »alignleft » width= »166″] Katrin Lecornu[/caption]
Danemark : La banque gère la ferme. Si elle estime qu’un élevage n’est pas rentable, elle la propose à un voisin qui l’est. L’endettement est de 19 000 € par vache (2 800 € en France, en Allemagne et en Belgique). Les élevages sont modernes mais la conjoncture actuelle les fragilise. La location du foncier est supérieure à la moyenne européenne qui est de 700 à 1 000 €/ha/an. Les éleveurs danois travaillent moins de 36 heures/vache/an ce qui les place, avec les Néerlandais, à la meilleure place à ce niveau (robotisation et
automatisation importantes).
Pays-Bas : Yes we can. Telle semble être leur devise. Ils foncent et tentent de prendre des parts de marché à l’export quand les Français pensent régulation. Il semble qu’ils soient, comme les Danois, à un point de rupture. La pression environnementale (gestion du phosphate) est forte. Ils pourraient exporter du lisier comme le font les Flamands vers la Wallonie (Belgique). Celui-ci est pasteurisé, ce qui augmente les coûts. Cette gestion des effluents est leur limite. Cette problématique a des répercussions concrètes sur le prix des terres et notamment de la location : 1 800 €/ha/an, record d’Europe.
Allemagne : Dans certaines régions, le lait devient un sous-produit du lisier. La concurrence est forte pour l’utilisation du fourrage : lait ou biogaz, avec une pression foncière élevée. S’ils trouvent d’autres sous-produits (végétaux) à insérer dans le digesteur, certains producteurs cessent le lait. Les éleveurs ont une grande faculté d’adaptation.
Royaume-Uni et Irlande : Tendance au low-cost. Les Anglais ont déjà subi la volatilité des prix dans le passé. Ils y sont habitués et maîtrisent leurs coûts de production. Les investissements doivent être productifs. Les Irlandais produisent à l’herbe mais rêvent d’ensilage de maïs pour limiter la volatilité de la production. Mais pour cela, il faut investir…..
Suède : La Suède ne fait pas partie des gros producteurs européens et avec leurs 500 €/1 000 litres de coût de production, ils sont en difficulté actuellement. Mais ce qui se passe là-bas au niveau sanitaire pourrait un jour s’étendre aux autres pays : pas d’antibiotiques au tarissement, feu vert administratif à obtenir pour en utiliser en traitements…