Média : les sujets agricoles ne séduisent plus

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De l’exceptionnel et de l’audience : voilà ce que doit susciter une information pour « faire un titre » dans les médias généralistes. Et ce qui est vrai en général, l’est en particulier pour l’agriculture.

Presse télévisée, écrite, radio… Le traitement des sujets agricoles dans les médias nationaux évolue depuis une dizaine d’année. Mais la tendance se confirme, quel que soit le média, les sujets agricoles ne sont pas simples à faire passer au niveau des rédactions. Exception faite des crises agricoles, et encore, toujours en recherche d’images ou de scoops spectaculaires, et les sujets de consommation. Un phénomène qui provient peut-être de l’étendue impressionnante du web, où les titres et les sujets « chocs » priment… Toujours est-il que depuis l’été 2015, l’agriculture a malheureusement répondu à ces attentes et a été exceptionnellement présente dans les médias. Cette couverture médiatique peut-elle se développer sur d’autres thématiques et moins dramatiques ?

Du spectaculaire pour de l’audience

« La règle chez Europe 1 c’est de faire de l’audience », raconte Pascal Berthelot, ancien journaliste de la station de radio. « En soi, l’agriculture n’a pas valeur de sujet. Il faut que l’info soit spectaculaire, quelque chose de fort : le scandale de la viande de cheval, une manifestation violente… » Pascal Berthelot se rappelle des bonnes audiences concernant la crise du lait. Des sujets qui passent sans difficulté. Tout le problème est de se renouveler. « Une info séduisante trouve illico sa place à l’antenne, explique-t-il. Mais concernant l’agriculture… pas simple d’en dénicher. Et le grand public réclame de la nouveauté ».

France Inter y dédie un journaliste à temps partagé. « On ne parle plus beaucoup d’agriculture à l’antenne », observe le spécialiste de la maison, Philippe Lefebvre, qui s’est réorienté vers le service Société depuis deux ans. « Ou alors quand le secteur va mal… »

« Des belles histoires »

À l’exception d’Arte et France 5, les magazines télévisés (Complément d’enquête, Enquête d’action, Zone interdite…) sont à la recherche de « belles histoires » et de « personnages », explique Christophe Brulé, rédacteur en chef de l’agence TSVP, qui fournit des contenus pour ces émissions. David Bercher, rédacteur en chef adjoint de Ligne de Front, agence concurrente, qui travaille essentiellement pour M6, confirme : « Cela m’intéressera beaucoup plus d’avoir un agriculteur qui a du franc-parler, et qui me parlera concrètement de l’absurdité des normes européennes, qu’un responsable syndical qui m’en parlera depuis son bureau parisien ».

Dans un magazine télé, pas de sujet qui ne soit pas incarné. « Le récit télévisé, parce qu’il est en mouvement, nous oblige à suivre quelqu’un qui fait des choses, analyse Christophe Brulé. Ce n’est pas une approche analytique, il faut que cela raconte une histoire ». Ainsi « les bons interlocuteurs pour le combat syndical ne sont pas toujours les meilleurs pour la télévision », explique David Bercher. À les écouter, dans les magazines, le récit semble primer sur l’explication, ou du moins le précéder… La télévision a tendance à simplifier, amplifier les phénomènes. Ces défauts « peuvent être gommés si l’on trouve des personnes qui ont un discours fin, intelligent ».

Dans les médias nationaux, des changements sont visibles depuis cet été. Pour le traitement de l’information, ils ont dû se pencher sur la question agricole pour comprendre l’origine des crises. Il y a plus de pédagogie que d’habitude. Mais on attire peu l’audience car, par principe, nos problématiques sont plus complexes et ne se traitent pas dans l’immédiateté. Chaque agriculteur a des informations à diffuser. En allant à la rencontre de tous les citoyens, et ce, dès leur plus jeune âge, osant leur parler de nos pratiques agricoles, on crée avec eux une histoire commune. Grâce à cette connaissance, le spectateur pourra relativiser les informations entendues. Danielle Even, Agriculteurs de Bretagne

Le bio réconcilie agriculture et grand public

Le regard que portent les magazines télévisés sur l’agriculture a beaucoup changé ces dernières années, à en croire ces deux interlocuteurs. « Aujourd’hui c’est vu comme un monde utile et noble, qui nous rapproche de la nature », estime Christophe Brulé. Pour lui, les agriculteurs portent désormais « des valeurs positives d’engagement, de durabilité, alors qu’avant on disait qu’ils étaient figés, qu’ils étaient lents. » Mais ce regain d’image ne profite pas à tous les agriculteurs, estime-t-il. « Ce sont les petits producteurs, en bio, qui réconcilient l’agriculture avec le public ». Autre constat, qui influence les sujets présentés : « Les journalistes qui proposent des sujets agricoles sont pratiquement toujours dans la veine environnementale », constate Christophe Brulé.

L’agriculture vue par le consommateur

Tout comme dans les journaux télévisés, où l’agriculture est traitée sous son aspect santé et alimentation, l’autre angle majeur des magazines télévisés pour aborder l’agriculture, c’est l’alimentation, vue par le consommateur. Pour Christophe Brulé, l’émission Capital (M6) a beaucoup changé la façon dont les spectateurs perçoivent l’économie, dont celle de l’agriculture. Mais pour lui, désormais, « tout le monde prétend, à tort ou à raison, avoir un avis sur les conditions de production, parce qu’il a regardé Capital. Cette attitude est nouvelle. » Mais en prenant le point de vue du consommateur, on prend parfois le sujet par le petit bout de la lorgnette, se justifie-t-il. D’autant plus quand les chaînes TNT (D8, W9…) versent dans le « discount », en donnant à leurs équipes peu de moyens pour enquêter.

[caption id= »attachment_16611″ align= »aligncenter » width= »600″]PQR-bretagne L’importance de l’agriculture dans l’économie bretonne et la proximité avec les journaux régionaux aident à faire parler plus facilement des productions agricoles.[/caption]

Les sujets agricoles sont incontournables dans la presse quotidienne régionale

Les relations sont différentes avec la presse quotidienne régionale. « Nous avons des liens de proximité. Les journalistes nous connaissent, ils sont spécialisés sur l’agriculture pour traiter des sujets de fond. Il y a un réel travail de compréhension », résume Danielle Éven, présidente de Agriculteurs de Bretagne.

Du côté de Ouest-France, François-Xavier Lefranc, rédacteur en chef du journal, affiche clairement la position du quotidien régional : « Ouest-France est un media généraliste, mais l’agriculture est un thème incontournable. Quand l’agriculture tousse dans l’Ouest, tout le reste s’enrhume. Nous devons être compétents. L’agriculture fait partie de notre levier de développement ». Aujourd’hui, l’équipe de rédaction spécialisée dans les sujets agricoles est constituée de quatre journalistes. Ouest-France ne privilégie pas de sujets particuliers, mais environnement et économie sont des angles d’attaque prioritaires.
« Au télégramme, les sujets agricoles et agroalimentaires sont traités en page économie agricole », explique Marcel Quiviger, directeur de la rédaction au Télégramme. C’est une stratégie voulue par la rédaction, pour faire connaître au plus grand nombre de lecteurs les problématiques de ce secteur. « Auparavant, une page spécifique Terre-Mer lui était dédiée. Mais les enquêtes de lecture confirmaient qu’elle n’était lue que par les personnes concernées. On enfermait ainsi les sujets agricoles dans un ghetto. » Dès qu’un sujet « sensible et plus complexe » est à traiter, la rédaction fait appel à une de ses journalistes spécialisées.

« Au travers des pages locales, et des portraits d’agriculteurs en dernière page, nous abordons l’agriculture avec une approche plus humaine, plus difficile à exprimer en pages économie. À l’aide de ces reportages, on essaie de comprendre la vie quotidienne des exploitants », analyse-t-on au Télégramme. François-Xavier Lefranc rajoute : « À chaque fois qu’un jeune agriculteur s’installe dans une commune, nous faisons un reportage dans la rubrique de sa commune. C’est une manière de recréer du lien entre deux univers, celui des citadins et celui de l’agriculture. Les villes grandissent. Nous pensons vraiment que nous avons un rôle à jouer dans ce sens. Le vrai pari aujourd’hui, c’est d’expliquer au grand public l’économie agricole. »


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