La Chine a un sérieux défi à relever : nourrir plus de 20 % de la population mondiale avec moins de 10 % des terres arables. Autant dire que le thème de la sécurité alimentaire est un sujet avec lequel les autorités ne badinent pas.
Même si la hausse de la productivité a permis aux Chinois de fortement faire progresser leur production depuis 1990, le rythme de croissance agricole ralentit désormais. Rappelons que 14 % seulement de la surface totale du pays sont cultivables. Or, ce chiffre diminue, grignoté par l’urbanisation et les problèmes d’environnement. Ajoutons à cela un autre casse-tête, celui des ressources en eau, très limitées et mal réparties. La grande plaine du nord représente par exemple plus de 60 % des terres agricoles, mais ne dispose que de 20 % des eaux. Or il est difficile aujourd’hui d’augmenter les surfaces irriguées qui représentent déjà plus de la moitié des terres.
Un maïs deux fois plus cher qu’à Chicago
Malheureusement, la demande de céréales ne fléchit pas, et pourrait atteindre 700 Mt d’ici 2020 (+ 17 %) sous la seule pression démographique. Si le pays peut rester autosuffisant en riz et blé, cela ne devrait pas être le cas en maïs. Quand au soja, avec 83 Mt d’importations de graines en 2015/16, la cause semble être entendue. Tout cela ne fait pas les affaires des membres du Parti…
Depuis neuf ans, le système de soutien basé sur des prix d’intervention très élevés, a déconnecté la Chine du marché mondial. Le maïs vaut deux fois plus cher sur le marché à terme de Dalian que sur celui de Chicago. Ce différentiel a fonctionné comme une véritable subvention aux exportations pour les pays fournisseurs de céréales et coproduits céréaliers destinés aux élevages chinois. Double peine donc pour les autorités, avec des prix excessifs sur le marché local et des stocks de maïs qui n’ont cessé de grossir. Face à une hausse inéluctable des futures importations, il faut cependant que celles-ci coûtent le moins cher possible. Il devient donc nécessaire de faire rebaisser le prix intérieur chinois.
Tous les moyens sont bons
Pour cela, il faut tout d’abord remettre les compteurs à zéro, et se débarrasser de stocks de maïs acquis au prix fort durant ces dernières années. Tous les moyens sont bons pour apurer ces réserves, à commencer par un contrôle plus strict des importations de produits concurrents (DDGS*, sorgho, orge, etc.) qui avaient explosé lors des précédentes saisons. Parallèlement, les industriels et notamment ceux du secteur de l’éthanol à qui l’utilisation du maïs avait été strictement interdite, reçoivent aujourd’hui des aides pour le consommer. Enfin, le gouvernement met aux enchères, à prix cassés, les stocks d’intervention. Les rumeurs parlent de 50 Mt de céréales à déstocker dans les prochains mois. L’urgence est réelle, car certains lieux de stockage sont arrivés au maximum de leurs capacités et ne pourront pas recevoir de nouvelles récoltes. Mais les opérateurs locaux boudent cette marchandise, dont l’état sanitaire laisse à désirer.
Réduire de 30 % les surfaces
Le changement de politique pourrait avoir un effet de domino sur les autres productions agricoles. Le soja devrait être un peu plus cultivé, mais le blé et le riz, encore largement subventionnés, pourraient rafler la mise, là où cela est possible. Le gouvernement souhaite cependant durablement réorienter les superficies du nord-est du pays vers des cultures plus résistantes à la sécheresse comme des pois. Des rotations plus fréquentes avec le soja sont aussi conseillées, ainsi que le développement du maïs ensilage. Le pays a donc mis en place un plan agro-environnemental pour réduire de 30 % les surfaces de maïs dans les 4 ans à venir.
Aide directe au producteur
Le virage politique majeur reste cependant la fin du système d’intervention pour le maïs (après celle du soja et du coton en 2014) annoncée fin mars. Le gouvernement s’est engagé, d’ici à octobre, à mettre en place une aide directe au producteur. La libéralisation des prix va donc rendre à l’agriculteur son libre arbitrage par le marché dans les prochaines années.
La première conséquence de cette annonce, largement anticipée cependant, a été une nouvelle baisse du marché de Dalian. Le prix du maïs y a atteint un plus bas de 6 ans. La mensualité mai 2016 cote 267 $/t (1 728 yuans) contre 366 $/t, il y a 7 mois. Si les prix chinois valent encore le double des prix américains (142 $/t), le rapprochement est bien en cours. Sur la mensualité janvier 2017, le prix descend à 1435 yuan/t soit 222 $/t contre 147 $/t sur le CBOT**.
Mutation rapide en perspective
La mutation du marché du maïs chinois pourrait être très rapide et achevée pour la saison 2017/18. C’est un facteur baissier pour le marché mondial du sorgho et de l’orge notamment, dont la Chine est devenue respectivement le 1er et 2e importateur mondial avec 9,1 Mt et 8,3 Mt en 14/15. Mais à terme, les forts besoins du pays devraient relancer la machine. L’USDA estime qu’en 2024/25, la Chine achètera 4,1Mt de maïs à l’extérieur, ce qui semble comme d’habitude, largement sous-estimé, mais qui est supérieur aux objectifs 2015/16 de 2,5 Mt. On peut d’ailleurs imaginer que les quotas actuels, limitant à 5 Mt les importations de la céréale, soient levés dans un avenir proche.
Ne nous y trompons pas, l’intérêt pour la Chine d’arrêter de « subventionner » les exportations américaines de sorgho, maïs et DDGS est de reporter le problème du soutien des prix aux USA. La bonne nouvelle, c’est que le dégraissage des stocks chinois va rendre la lecture des marchés plus visible dans les prochaines années. Reste à savoir comment cette marchandise souvent en très mauvais état va pouvoir être absorbée par le marché chinois… Le secteur de l’éthanol pourrait être la meilleure porte de sortie et la moins déstabilisante pour les prix mondiaux.
* drèches d’éthanolerie de maïs **Chicago Board of Trade