En se penchant sur la vie et la maison des paysans bretons du Trégor finistérien, Daniel Sannier et Christian Millet nous replongent dans des traditions historiquement lointaines mais pourtant toujours visibles de nos jours.
Le premier, Christian Millet, architecte de métier et résidant à Plougasnou (29), voue un intérêt particulier pour la vie rurale. Le second, Daniel Sannier, né à Plouégat-Guérrand (29), a baigné toute sa vie dans ce Trégor finistérien, en tant que maître d’école à Plouigneau (29). Leur rencontre a donné naissance à un livre retraçant l’histoire de l’habitat du paysan trégorrois finistérien, de l’époque médiévale au milieu du siècle dernier. « Je souhaitais concrétiser tout ce que j’avais en mémoire, car nous avons vécu une réelle révolution dans les campagnes, surtout du côté du matériel », confie Daniel Sannier.
Les pays léonard et cornouaillais avaient déjà été traités dans la littérature. C’est en consultant de nombreuses archives privées, rédigées sous forme d’actes notariés, que les deux hommes ont alimenté leur livre. Le puzzle est désormais complet avec l’ajout de cette pièce, matérialisé par un livre richement illustré de photographies et qui replonge le lecteur dans une histoire, ou plutôt dans notre histoire.
Difficile datation
Au temps de la Restauration, le cadastre napoléonien apporte son lot d’information sur l’environnement rural. Sans utilité au vu des maçons, les autres plans se font rare et rendent la tâche de datation plus difficile. « Parler d’architecture rurale dans le Trégor finistérien avant le XVIIIe siècle est pour ainsi dire impossible tant les exploitations paysannes, comme tout lieu de vie, se sont transformées durant les siècles suivants. Les différents occupants ont démoli, reconstruit, agrandi ou changé d’affectation les locaux initiaux », explique l’architecte. Les datations gravées sur les linteaux des bâtisses ne sont donc pas une preuve tangible de la première utilisation de cette pierre. Cependant, la taille et la disposition des pierres sont autant d’indices pour les deux historiens.
Des convenants convenables
Le mode de faire-valoir le plus usité avant la Révolution dans cette partie de la Bretagne est le domaine congéable : le bailleur possède les terres et les espèces nobles d’arbres. Le domanier (fermier) est considéré comme propriétaire des édifices et des arbres non considérés comme noble. « Le notable fournissait 10 ha de terre, celui qui les prenait construisait sa maison, ses dépendances. Ces maisons étaient petites, avec beaucoup de gens à y vivre, la pièce principale pouvait accueillir 2 à 3 lits clos », décrit Daniel Sannier.
À la Saint-Michel, le domanier verse une rente au bailleur. Si ce dernier décide de congédier le fermier, il doit réaliser une estimation des biens par un acte de mesurage et prisage. Tout était mesuré de façon précise. Le notaire notait même les espèces cultivées dans les champs. Ainsi, lors du mesurage et prisage du Grand Plessis en Plouigneau (29) en 1787, il est écrit que les pommes de terre et betteraves sont absentes, mais que le panais est cultivé.
Le mode de faire-valoir à été décrié sur la commune de Botsorhel, par une forte contestation soutenue par la municipalité en avril 1790. Finalement, le domaine congéable à été conservé en étant légèrement modifié.
[caption id= »attachment_18748″ align= »aligncenter » width= »600″] Le kuz-tôl accueillait la table des paysans.[/caption]
Le kuzh-tôl est un apotheis
Le Trégor finistérien dissimule bon nombre de pépites architecturales, liées à la géologie : la nature offre des matériaux de choix aux bâtisseurs. Les stalles d’écuries en pierre de Locquirec, au lieu-dit Pen ar Prat, en Guimaec, en sont un exemple.
La seconde moitié du XVIIIe siècle connaît une modification majeure de l’agencement des maisons, avec la construction de kuz–tôl, avancées construites en façade. « Certains donnent pour origine de cette avancée l’emplacement d’un métier à tisser, mais il n’y en avait peu à l’époque. La partie centrale de la maison était dédiée aux activités hivernales, comme pour la confection de panier, le tissage du lin ou du chanvre. Le kuz-tôl était l’endroit idéal pour y positionner la table. La porte d’entrée restait souvent ouverte, pour alimenter en air la cheminée. Les occupants de la maison étaient alors à l’abri de cet air froid », confie Daniel Sannier.
Le territoire trégorrois finistérien connaît également d’autres particularités, tels les « Ty Coz », dotés d’escalier extérieur qui casse la continuité de la façade. « Ces escaliers, dit à pont d’allée, permettaient l’aménagement de l’étage aux paysans quand le rez-de-chaussée abritait les animaux. Parfois, plusieurs familles pouvaient résider sur le même site, avec la présence de cheminées au rez-de-chaussée et à l’étage ». Une organisation et une conception de bâtiments qui laissaient peu de place à l’intimité, mais qui avaient l’énorme avantage de tisser des liens sociaux qui tendent à se perdre de nos jours.
Un vocabulaire flamboyant
« Le paysan breton en sa demeure » regorge de termes précis liés à l’architecture. Le lecteur pourra ainsi voyager dans l’histoire, grâce à un vocabulaire précis utilisé par les bâtisseurs. On peut ainsi lire, à la Renaissance, que « au cavet, se substitue le quart de rond, moulure convexe dont le profil est un quart de cercle, et parfois la doucine, moulure ondoyante à deux courbures de mouvement contraire, rare dans les bâtiments agricoles et principalement utilisée dans les édifices religieux ». Une parfaite illustration des travaux précis et des métiers oubliés. Les curieux pourront aussi en apprendre davantage sur les moulins, les travaux de champs ou encore les puits au fil des pages.