Durant la décennie qui vient de s’achever, la France est restée, de loin, le premier producteur agricole européen et son chiffre d’affaires a continué de progresser. Mais dernière elle, l’Europe agricole évolue rapidement.
On finirait presque par l’oublier, peut-être par excès de morosité, mais la France a tenu, durant la décennie qui vient de s’écouler, son rang de première puissance agricole européenne, avec un chiffre d’affaires de 75 milliards d’euros en 2015, en progression de 17 % sur dix ans. Globalement, l’agriculture française continue de progresser, et devance toujours, et de loin, l’Allemagne (52 milliards d’euros), l’Espagne (43 milliards d’euros) et l’Italie (54 milliards d’euros).
Toutefois, il ne faudrait pas sombrer dans le patriotisme aveugle : l’un des faits marquants de cette décennie n’est pas l’essor de la ferme France, mais bien celui de l’agriculture allemande, dont le chiffre d’affaires agricole a progressé deux fois plus vite (+35 %) que celui de la France. Selon Georges-Pierre Malpel, inspecteur général de l’agriculture (CGAAER – ministère de l’Agriculture), c’est le pays qui a le plus progressé sur cette période. « Sa compétitivité lui a permis de prendre des parts de marché, même en céréales, où elle a exporté, alors qu’auparavant elle ne le faisait pas ».
Une France globalement moins robuste
Certains y verront le symptôme d’un mal français, sa compétitivité ; depuis la fin de la décennie 1990, la France subit une dégradation de la compétitivité de son agriculture et de son agroalimentaire, expliquait l’économiste de l’Inra, Hervé Guyomard, lors du dernier Salon de l’agriculture. Il avançait alors plusieurs explications au phénomène : réglementation et fiscalité « excessives » dans une Europe qui permet des distorsions, mise en œuvre des réformes de la Pac « trop conservatrice », spécialisation insuffisamment adaptée aux évolutions des marchés porteurs, pouvoir excessif de la grande distribution. Georges-Pierre Malpel partage le diagnostic : « La France n’a pas profité de la suppression de la gestion des marchés, dans la politique agricole commune, pour se mettre en position de compétitivité. Elle a choisi une politique plus traditionnelle ». Pour l’inspecteur général, la France a péché par manque d’anticipation.
Une Pac « concurrentielle »
« Quand l’environnement se globalise, il n’est pas étonnant que vos positions soient contestées, résume Thierry Pouch. Si vous êtes, comme dans certaines filières, dans l’inertie ou le rapport de force, vous vous mettez en difficultés. » Et la pression des con-currents est d’autant plus forte que la Pac joue de moins en moins son rôle de régulateur, notent l’ensemble des experts interrogés. « L’évolution de la Pac est un continuum, mais cette décennie a été marquée par la diminution de la gestion des marchés, et la montée de la logique du “que le meilleur gagne” », note un autre inspecteur général de l’agriculture, Sylvain Marty.
« La Pac a connu une forte évolution de son périmètre, avec l’intégration de nouveaux pays qui n’avaient pas une approche marché, mais plus territoriale, retrace Georges-Pierre Malpel. C’est ainsi par exemple que l’on est passé, pour le premier pilier, d’un système d’orientation de marché à des aides plus socio-territoriales (découplage des aides). La Pac a pris une orientation plus déconnectée des marchés ». Et Thierry Pouch de résumer : « On n’est plus dans une politique agricole commune, mais dans une politique agricole concurrentielle ». La France en a-t-elle bien pris acte ?