Alors que, mi-mars, le soja se négociait au-dessous de 300€/t à Montoir pour les livraisons mai/juillet 2016, voilà que la cotation s’affiche à 350 €/t fin avril. Que s’est-il passé pour en arriver là, alors que le bilan mondial croule sous les stocks aussi bien aux USA qu’en Argentine ?
Retour sur un rebond qui nous rappelle qu’il faut toujours garder un œil sur la météo, mais aussi la finance, lorsque l’on décrypte les marchés agricoles.
Un timing parfait
Il y a d’abord eu El Niño, ce phénomène climatique qui, en asséchant l’Indonésie et la Malaisie, a poussé à la hausse les cotations de l’huile de palme depuis plusieurs mois. L’huile de soja s’est alors naturellement renchérie, mais la bonne disponibilité des tourteaux liée au retour au marché de l’Argentine, limitait alors la progression du prix de la graine de soja. Les choses se sont vraiment gâtées lorsque des inondations se sont abattues sur l’Uruguay, le sud du Brésil et l’Argentine, alors même que la nouvelle récolte de soja y démarrait. Ajoutons à cela une météo inversement trop sèche dans les états de l’extrême nord du Brésil.
Nous nous sommes retrouvés avec des perspectives, non plus de hausse de la production sud-américaine, mais de baisse (-4 Mt) pour la saison 16/17. Au même moment, nous apprenions que les semis de soja aux USA resteraient quasiment identiques cette saison à ceux de l’année dernière, les farmers préférant nettement parier sur le maïs. Enfin, cerise sur le gâteau, les achats chinois explosaient sur les mois de mars et avril.
Le soja, nouvelle mascotte des spéculateurs
Toutes ces informations racontaient enfin une histoire aux spéculateurs en manque de volatilité (donc de rendement) sur le marché des actions ou du pétrole. Et le timing pour faire du soja leur nouvelle mascotte était parfait. Nous étions à la veille de la journée des trois sorcières, une période particulière qui désigne en finance la journée d’expiration simultanée de trois types de contrats (futures et option sur indices et options sur actions). Celle-ci se déroule le troisième vendredi de chaque mois. Les traders y sont plus actifs, ajustant leur portefeuille. Or les options sur les contrats mai de soja arrivaient aussi à échéance sur cette même période… Nous avons assisté, dans un laps de temps très court, à un arbitrage entre les actifs financiers des portefeuilles des investisseurs.
Les spéculateurs court-termistes (managed funds) ont ainsi racheté des contrats de soja vendus à découvert précédemment (on vend quelque chose que l’on ne possède pas dans l’espoir de le racheter moins cher ensuite). Ce mouvement a entraîné une hausse de 11 % du prix de la graine de soja à Chicago, celui-ci passant à 335 $/t à 373 $/t en quinze jours. La réaction a été encore plus violente sur le tourteau, le prix de celui-ci progressant de 300 à 366 $/t (+22 %). Le souci, c’est que le trading haute fréquence est encore à l’œuvre sur le marché à terme. Ce sont aujourd’hui les algorithmes mathématiques qui ont repris la main sur les cotations de Chicago, nous écartant de la réalité des transactions de marchandises sur le terrain.
Un taux de change pourtant favorable aux importations
La cotation du tourteau de soja sur le marché français prend en compte la référence américaine mais aussi le marché sud-américain, l’un ne compensant pas l’autre actuellement. S’y ajoute le coût du fret maritime, qui remonte depuis quelques semaines. Ces éléments sont cotés en dollars. Heureusement, la parité monétaire €/$ limite (un peu) les dégâts.
En effet, elle est passée de 1,10 à 1,14 entre mars et avril, ce qui rend les importations moins chères (mais renchérit mécaniquement le prix des marchandises cotées en dollars sur le marché international). Cette tendance baissière du dollar devrait s’inscrire dans la durée, comme nous le prédisons depuis plusieurs mois déjà.
Surveiller la météo
En mai, il va donc falloir suivre l’intensité des précipitations en Argentine, dont dépendra la reprise des travaux de récolte qui n’ont jamais été autant en retard depuis 10 ans. Ce pays est censé fournir 50 % des tourteaux mis en marché d’ici la fin de l’été. On comprend donc son importance. Il faudra aussi s’intéresser en juillet aux disponibilités en tourteaux de colza, qui risquent de rester limitées (récolte UE en baisse, trituration française limitée par le dossier biodiesel). En août enfin, la Nina pourrait faire parler d’elle aux USA…
La volatilité est de retour
Malgré un stock mondial capable de fournir la demande planétaire, très active actuellement, de nombreux facteurs haussiers non pris en compte jusqu’ici, se sont rallumés sur les écrans radars des traders. Ces derniers ont trouvé un terrain de jeux à la hauteur de leur attente. La volatilité est de retour. Accrochez vos ceintures…
Cela peut-il durer ?
Si on s’en tient aux fondamentaux, cette flambée n’est pas raisonnable. Tout d’abord, il est un peu tôt pour faire le bilan des dégâts en Amérique du Sud. Pour l’instant, le « weather market » a perdu de l’intensité avec l’arrivée de pluies bénéfiques au Brésil et le retour de conditions plus sèches en Argentine. Mais surtout, il existe encore dans ce pays de nombreux stocks qui n’avaient pas été écoulés lors des campagnes précédentes.
Pour l’instant, c’est surtout la logistique compliquée à cause des précipitations qui inquiète et fait prendre du retard sur le calendrier de chargement des bateaux. Nous assistons donc plutôt à un goulot d’étranglement ponctuel qu’à un assèchement réel des disponibilités. Les graines sont là, mais il faut y mettre le prix, puis pouvoir les acheminer jusqu’aux usines de trituration ou aux ports.
* weather market : marché lié à la météo ** Chicago Board Of Trade