Prix élevé des broutards, afflux de vaches laitières de réforme dans les abattoirs, baisse de la consommation… Les sources de déstabilisation de la production sont bien identifiées. Cette spirale est-elle inéluctable ?
Depuis le printemps, à Guerlesquin, le marché aux broutards du Mol ne désemplit pas. Il ne faut pas chercher bien loin l’explication. Ou plutôt les trois explications : la Bretagne est indemne de FCO ; la Turquie fortement importatrice de ces animaux attise les prix ; et les éleveurs ont besoin de trésorerie. « Mais la Turquie est-elle un débouché stable ? », interroge Raymond Barré, conseiller viande bovine à la Chambre d’agriculture, en rappelant que « l’Italie reste le principal acheteur des 800 000 broutards français exportés ».
Les engraisseurs ne s’y retrouvent pas
Conséquence du prix élevé des broutards, les engraisseurs de jeunes bovins ne remplissent plus leurs ateliers : à plus de 1 000 € le broutard et 3,70 €/kg le jeune bovin fini (4 €/kg en Blond), le calcul est vite fait. Mieux vaut vendre le broutard. D’autant qu’un broutard vendu, c’est un apport de trésorerie immédiat, du travail en moins, pas de risque de perte d’animaux durant la phase d’élevage. Olivier Frayer, responsable du groupement bovin à Triskalia, accorde que l’écart entre prix d’achat du broutard et prix de vente en viande est déterminant pour l’éleveur. « Tout se joue à ce niveau. C’est sur ces deux postes que se fait la marge. L’alimentation joue peu en fait ».
Pour agir sur les marges des engraisseurs, le groupement est quasi contraint de s’approvisionner en mâles dans le bassin allaitant du Centre de la France qui pratique des prix inférieurs. « Aujourd’hui, en Bretagne, le prix du broutard est trop élevé de 150 à 200 € pour garantir la rentabilité aux engraisseurs. Pour les naisseurs, par contre, le compte y est », calibre-t-il. « Aujourd’hui, pour équilibrer, il manque 40-60 ct du kilo de carcasse en jeune bovin ».
Depuis le début de l’année, les cotations perdent quelques centimes chaque semaine. Mais selon certains observateurs, il semblerait que l’on touche le point bas en jeune bovin. « Il n’y a guère que les jeunes femelles de bonne qualité bouchère qui se tiennent », observe Olivier Frayer, en faisant remarquer que « l’été qui arrive n’est pas favorable à la côte de bœuf ».
+ 200 € en engraissant les réformes
Réapprendre à engraisser ses vaches de réforme laitières. « C’est un moyen d’encaisser 200 € par vache », note Olivier Fayer qui conseille d’anticiper l’engraissement deux mois avant le tarissement : « En distribuant 1-2 kg de concentré pendant deux mois, la vache commence à reprendre du poids tout en maintenant sa production laitière ». « Les abattoirs recherchent des vaches engraissées. Au bout, c’est une plus-value de 30-50 ct/kg pour un poids de carcasse de 50-60 kg en plus. Résultat : au lieu de vendre une vache de 260 kg à 2,10 € (état d’engraissement 2), l’éleveur vend une bête de 310 kg à 2,50 €/kg (état d’engraissement 3) ».
Risque d’afflux de réformes laitières
La morosité du marché laitier et le besoin de trésorerie des éleveurs affectent également le marché de la réforme. Un mouvement qui pourrait prendre de l’amplitude si aucune embellie n’est enregistrée sur le prix du lait, les laitiers pouvant être contraints de décapitaliser dans les mois à venir. Même crainte en allaitantes qui se valorisent à peine un demi-euro de plus que la Holstein. « Les vieilles Charolaises trinquent », reconnaît le responsable bovin de la coopérative qui cite des prix de 3,10-3,20 pour des animaux qui à même époque valaient 4 € en 2013 (350 € de moins).
Ce printemps, les industriels observent une baisse de consommation comme jamais connue depuis 40 ans. À ce jour, il y a 3 mois de stock en trop. La seule solution pour assainir le marché est de dégager de la marchandise à l’export. Tout le monde semble prêt à nouer des partenariats pour mener à bien cette opération ; il faut à présent que l’État et l’Europe appuient cette démarche. Si la filière ne retrouve pas de marchés rapidement, l’impact sera colossal sur les éleveurs qui vont décapitaliser ce qu’ils ont construit ces 10 dernières années.Denis Hervé, président section bovine FRSEA
Désaisonnaliser les vêlages
Dans ce contexte déprimé l’éleveur a-t-il encore des marges de manœuvre ? « Assurément oui », lance Olivier Fayer qui invite la filière bovine bretonne (ou du Grand-Ouest) à mettre en avant ses atouts. « Les éleveurs bretons ont un vrai savoir-faire, en matière d’alimentation, de bien-être, d’environnement, etc. Il faut mettre collectivement en avant ces atouts pour se démarquer y compris à l’export ». Un export qui rappelons-le représente 25 % des carcasses de jeunes bovins.
Savoir mettre en avant le savoir-faire breton pour vendre.
« Au gré des crises financières (Grèce), des ruptures politiques (Russie), des problèmes sanitaires (FCO) ou commerciaux (Pologne, Irlande), l’Italie s’est imposée comme un interlocuteur incontournable en défendant une viande “made in Italia” », poursuit Raymond Barré. Et de conclure : « Pour vendre le jeune bovin français sur le marché italien, les opérateurs français sont obligés de s’adapter avec des prix en dessous du marché italien d’autant qu’ils sont en concurrence avec les Polonais, les Irlandais, etc. ». Pour l’avenir, le conseiller de la Chambre encourage les naisseurs bretons à désaisonnaliser « là où c’est possible et donc à faire davantage de vêlages d’automne pour approvisionner le marché de jeune bovin de novembre à février et d’éviter ainsi la période sensible de mai à septembre ».