Les Chinois sont en train de redistribuer les cartes de l’économie mondiale via les achats de ports, de routes et foncier sur tous les continents.
Le discours ambiant sur la recherche de l’autonomie protéique ne cesse d’être relayé par les politiques et les médias agricoles. Encore faut-il être sûr que les raisons qui nous poussent à l’améliorer, soient les bonnes. Ainsi, avant de penser à limiter l’impact de la volatilité mondiale sur nos filières animales, il s’agit surtout de sécuriser un approvisionnement en protéines menacé par l’appétit des pays émergents, Chine en tête. La flambée actuelle des cours du soja nous rappelle que les fournisseurs sont peu nombreux, et aujourd’hui largement courtisés par les pays asiatiques et africains. Et parce qu’on ne badine pas avec les besoins d’1,3 milliard de Chinois, l’Empire du Milieu, en manque de terres et d’eau, avance ses pions à vitesse grand V afin de s’approprier un maximum du flux mondial des denrées agricoles.
Le négoce change de main
Les stratégies sont diverses et nombreuses, et vont permettre à ce pays de contrôler le négoce, mais aussi la production off-shore. Premier exemple sur le maillon négoce, avec l’achat très récent du négociant brésilien Fiagril par l’entreprise Hunan Dakang Pasture Farming, elle même filiale du groupe Shanghai Pengxin. La transaction vise non seulement à capter la marchandise, mais aussi (et surtout) à maîtriser la logistique. Sortir les graines par le nord du Brésil, est en effet de première importance pour limiter les coûts de commercialisation des sojas et maïs qui progressent dans les états du centre et du nord du pays, très éloignés des ports historiques de Paranagua ou Santos.
Cette affaire survient après celle réalisée en décembre 2015, entre Noble Group et Cofco (principal groupe agroalimentaire chinois, contrôlé par l’État). Cette société représente pour le Chinois, une pièce majeure de son internationalisation, après la prise de contrôle du négociant néerlandais Nidera en février 2014. Ce retrait de Noble n’est pas un cas isolé. Plusieurs grands négociants actifs dans les produits agricoles ont lancé des opérations de cession, restructuration ou réorganisation de leur actionnariat (Glencore notamment). Résultat des courses, selon Thomson Reuters, la part des achats de Cofco et des autres négociants asiatiques a atteint 45 % des exportations brésiliennes de soja l’an passé. Celle des quatre négociants internationaux, dénommés ABCD (ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus), est tombée à 37 %.
Un prix du lait manipulé ?
Est-il encore utile de rappeler les investissements chinois (Biostime, Beingmate, etc.) dans les outils de transformation laitière en Europe et notamment en France ? Rappelons que la Chine a récemment décidé d’assouplir la politique de l’enfant unique, ce qui se traduira dès 2016 par 5 millions de nouvelles naissances. La demande annuelle pour la consommation de lait infantile représente déjà 600 000 tonnes, dont près d’un tiers est importé. La France y participe pour 9 % environ. La quantité importée devrait doubler et représenter 50 % de la consommation totale, à terme.
L’enjeu est de taille, ce qui a d’ailleurs fait dire à un journaliste du magazine américain « The trumpet », que la Chine manipulait le cours mondial du lait pour racheter à bas prix les fermes australiennes et neozélandaises actuellement au bord de la faillite (le prix du lait y a chuté de 60 % depuis 2014). La thèse avancée est que les Chinois auraient fortement stocké en 2012 et 2013, faisant monter les prix des produits laitiers et poussant à l’augmentation de la production mondiale pour ensuite profiter d’un prix du lait bas durant quelques années et d’un prix de la terre en chute libre en Océanie.
Une deuxième stratégie consiste à acquérir ou louer des terres directement ou via la prise de contrôle d’entreprises. Si les achats récents de parcelles céréalières en France ont fait trembler la Safer, impuissante, les Chinois avancent surtout leurs pions dans des zones proches de leur pays et notamment la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Là bas, des négociations sont en cours pour acquérir l’entreprise S.Kidman and Cо, dont les terres agricoles occupent 1 % du territoire australien (soit l’équivalent de la surface de l’Irlande).
Dans l’escarcelle, un troupeau de 185 000 bovins. Cela vient s’ajouter à l’achat récent de la Tasmania’s Van Diemen Land Company, la plus grande ferme laitière de l’Australie, par la société chinoise Moon Lake. Pour 220 millions de dollars, les Chinois ont raflé 25 fermes laitières sur 17 000 hectares de terres chargées de produire et d’expédier des produits laitiers vers l’Empire du Milieu. Et si les grandes négociations marquent les esprits, les plus petites acquisitions sont nombreuses à travers le monde aussi bien sur les céréales, les oléagineux, que le coton, la canne à sucre ou le vin, mais aussi les infrastructures routières et ferroviaires.
Pour ne pas rire jaune
Dans un environnement économique mondial en déliquescence, largement lié faut-il le rappeler à l’entrée trop peu négociée de la Chine à l’OMC en 2001, l’Occident semble complètement dépassé par le jeu de Go des Chinois. Le gouvernement chinois, dont les sociétés d’investissement sont le cheval de troie (souvent acclamé par les dirigeants des nombreux pays en quête de liquidités), n’ont qu’un seul but, sécuriser leurs approvisionnements alimentaires. En contrôlant l’amont, et en s’affranchissant d’intermédiaires, la Chine devient le véritable arbitre du marché. Oui décidemment, chercher à développer notre indépendance protéique est plus qu’une bonne idée, elle est vitale pour nos filières. Le redéploiement de la production de soja en France et plus largement en Europe, est une première étape, plus que nécessaire.
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