Les décisions européennes ont impacté la filière légumière. Mais l’organisation régionale mise en place par les producteurs lui a permis de garder sa place de région exportatrice.
À quelques semaines du vote en Grande-Bretagne pour le maintien ou non de son engagement au sein de l’Europe, on s’aperçoit que rien n’est acquis. L’histoire le démontre encore et encore. L’Europe se construit depuis 1957 et cette construction fragile est longue et loin d’être un fleuve tranquille. Tout au long de cette construction, des décisions européennes ont impacté de manière importante la filière légumière régionale. « Suite à la baisse des prix agricoles et à la réforme de la Pac en 1992, qui est passée d’une aide sur les marchés à une aide déconnectée, avec un soutien à l’hectare, on a mis six ans à se relever. Ne l’oublions pas… », tient à rappeler Pierre Bihan-Poudec, ancien président de la Sica de Saint-Pol-de-Léon (29).
[caption id= »attachment_19507″ align= »aligncenter » width= »600″] « La Bretagne ne produit pas des légumes pour son territoire, elle a besoin de les exporter en Europe et au-delà », précise Yvon Auffret, directeur du Cérafel.[/caption]
« Mais la création de l’euro a été un tournant en fruits et légumes. Elle a mis un frein à une concurrence exacerbée », insiste-t-il. Mais ce n’est pas un argument qui sensibilisera nos voisins anglo-saxons, non concernés par la monnaie unique… Et aujourd’hui, dans un contexte où on décrie les distorsions de concurrence sociales et fiscales européenne, l’UE reste-t-elle un moteur ou un frein pour la filière de légumes ? Telle est la question posée à Yvon Auffret, directeur du Cérafel. Il y a répondu, avec un recul de 32 ans d’activité dans ce secteur, lors de l’assemblée générale de Terres de Saint-Malo, vendredi 27 mai, à La Gouesnière (35). Il a appuyé le rôle de l’Organisation commune des marchés (OCM) et a visé les clarifications attendues sur les règles de la concurrence.
Des outils de régulation avec l’OMC
Premier et principal instrument européen, la Politique agricole commune (Pac) a été mise en place dans une philosophie de développement, pour augmenter la productivité agricole, assurer des niveaux de vie équitables et un prix raisonnable aux consommateurs. L’OCM fruits et légumes, créée en 1972, fait partie intégrante de la Pac. Le maintien de l’OCM fruits et légumes, qui est fondée sur les organisations de producteurs et leur cofinancement avec l’Union européenne, est essentiel à l’activité de production, à sa modernisation, à son organisation , et à son adaptation à la demande des marchés et des con- sommateurs.
L’extension des règles a été maintenue (à l’origine elle avait pour objet l’obligation de vendre toute sa production aux enchères, maintenant elle porte sur les règles de déclaration et de cotisation aux actions d’intérêt général). L’indemnisation des retraits a été supprimée dans l’OCM de 1996, mais elle peut être financée par les fonds opérationnels et c’est le principal moyen de régulation des marchés en cas de crise. » S’ils restent insuffisants, les outils de régulation ont pu être conservés dans l’OCM.
L’harmonisation, un des enjeux majeurs de l’Europe
L’harmonisation sociale et fiscale permettra d’avoir un jour une concurrence honnête entre les 28 pays européens. Le dossier est ouvert. Mais c’est un des chantiers les plus difficiles à mettre en œuvre car il requiert l’unanimité des 28 États membres. Néanmoins, beaucoup de pays comme la France pointent du doigt la situation et pensent que ces distorsions de concurrence pénalisent leurs productions. J’alerte par ailleurs sur un autre point : celui du budget de la Pac. Avec un budget européen sous-dimensionné par rapport aux enjeux, tout le monde regarde le budget de la Pac avec « gourmandise ». Il représente 42 % du budget européen. Il faudra rester vigilant pour que l’Europe n’applique pas le principe de subsidiarité pour ce budget. Car cela induirait un retour à la concurrence à tout point de vue. Isabelle Thomas, Députée européenne
De la concurrence de toute part
Réforme de la Pac (1992), dévaluations compétitives de la peseta et de la lire (1992), embargo des échalotes aux États-Unis (1999), contamination par E. Coli (2011), embargo alimentaire russe (2014) et autres péripéties… ont désorganisé les marchés ces dernières années. « En même temps, le secteur agricole a été confronté à la montée en puissance des contraintes environnementales et à la banalisation des produits agricoles, qui se voient appliquer le droit à la concurrence comme toute autre activité », rappelle-t-il.
Non sans incidence pour la production française et bretonne chahutée et obligée de s’adapter. « De 1986 à 2016 , nous sommes par exemple passés d’une production française de 12 à 8 millions de tonnes quand l’Espagne a elle doublé sa production. » Au sein de l’Hexagone aussi, de la concurrence peut-être induite par des décisions européennes. L’arrêt du soutien de prix aux céréales a incité des régions historiquement tournées vers les grandes cultures à s’intéresser aux légumes. « Aussi, l’Aquitaine a développé ses surfaces légumières de 22 à 38 000 ha de 1988 à 2014. Même tendance dans le Centre, en Picardie…
La Bretagne a accusé le coup en réduisant ses superficies de 56 à 40 000 ha. Néanmoins des gains de compétitivité et le développement de production sous serres nous ont permis de limiter les pertes en volume », chiffre Yvon Auffret. Aujourd’hui, il reste à traiter l’harmonisation fiscale et sociale européenne, vaste dossier et dont l’avancement est encore loin de l’achèvement. « Pendant ce temps, les conditions sont difficiles et les producteurs subissent. En attendant, c’est sur la création d’un fonds de mutualisation européen qu’il faudrait avancer », anticipe Pierrick Gauvin, président de Terres de Saint-Malo.