La crise agricole ne fait plus l’actualité médiatique mais les problèmes de fond demeurent. Loin des feux de pneus, regard sur le long chemin qui a conduit l’agriculture sur ce terrain instable, incertain, mais où le pire n’est pas certain.
En baissant de 7 points le taux de cotisations sociales des agriculteurs au printemps, le Premier ministre a implicitement reconnu le problème de rentabilité de l’agriculture française, et plus particulièrement de son élevage.
Consommations intermédiaires en hausse
En dépit des aides publiques importantes, l’agriculture française affiche en effet des résultats pour le moins contrastés. Voire préoccupants puisque la part de l’agriculture dans le PIB national est passée de 2,7 % en 1995 à 1,7 % en 2014 ; quant à l’excédent agricole commercial français (autour de 10 milliards d’euros) souvent mis en avant, il correspond à peu près au total des aides perçues par l’agriculture.
Dans les campagnes françaises, la surface agricole globale reste relativement stable alors que le nombre d’exploitations et d’agriculteurs fond comme neige au soleil. Sans contrepartie véritable puisque le secteur n’engrange pas davantage de valeur ajoutée. Ce constat est partagé par de nombreux économistes qui mettent à l’index l’augmentation importante du coût des consommations intermédiaires (intrants, services). Enfin, l’agriculture doit aussi composer avec la pression exercée par l’aval et la distribution.
Une date, un tournant : 1992
Qu’il semble loin l’écho du cocorico de la première puissance agricole européenne. Le véritable tournant se situe en fait en 1992 quand l’Union européenne, par l’odeur alléchée du grand marché mondial, réforme sa Pac « en profondeur »… sans vraiment aller jusqu’au bout de ses intentions.
Dans une Europe fondée sur des valeurs chrétiennes où les paysans rejettent autant le libéralisme que le collectivisme, le commissaire européen à l’agriculture de l’époque, l’Irlandais Ray Mac Sharry, a finalement tranché entre ces deux modèles honnis. En résumé, il a opté pour le semi-libéralisme. Dans les faits, il s’agit d’aligner les prix agricoles sur le marché mondial et d’apporter une compensation en attribuant des subventions à l’hectare déconnectées du marché. Les agriculteurs connaissent bien ce principe sous la dénomination « découplage des aides ». Pour l’anecdote, c’est aussi à ce titre que la reine d’Angleterre reçoit sur un plateau quelque 500 000 € de la Pac.
La politique de l’autruche au pays coq gaulois
Reste que ce semi-libéralisme entretient l’agriculture dans une sorte d’économie artificielle. D’un côté, en maquillant le véritable coût de production des denrées agricoles ; d’un autre, en gonflant ce même coût de production par la marchandisation des droits à produire. Ceci est particulièrement flagrant pour le prix du foncier, même si la France reste un peu à l’écart de cette spéculation. Mais pour combien de temps encore ?
Si, au moment des choix du modèle économique agricole, il y a maintenant 23 ans, la Commission européenne a préféré – ou a été forcée – de couper la poire en deux, des agriculteurs européens ont néanmoins fait des choix clairs. Soit en étant poussés par leur corporation ou tout simplement guidés par leurs connaissances personnelles en économie. C’est le cas des Allemands et des Espagnols qui ont opté pour le modèle industriel pour bénéficier d’économies d’échelle ; quitte à employer de la main-d’œuvre à bas coût pendant que la France plébiscitait le modèle familial. Pourquoi cette divergence ? Sans doute parce que peu de responsables professionnels, syndicaux et politiques français se sont aventurés sur ce terrain de la vérité. Du fait aussi d’une tradition de cogestion sur les dossiers agricoles, les gouvernements français successifs n’ont pas davantage choisi
entre le modèle industriel et l’agriculture de terroir.
Du bon du très bon, vendu cher très cher
Ce choix – ou non-choix français, comme le qualifient certains économistes – n’en est pas moins honorable. Il reflète une certaine idée de la politique d’aménagement du territoire voulue sans être décidée. Mais il entrave à la fois la compétitivité des exploitations intensives qui souhaitent participer au grand marché alimentaire mondial et le développement de l’agriculture de terroir. Deux modèles qui sont en fait complémentaires car ciblant des marchés différents. Complémentaires et entraînant l’un l’autre, car, en France plus qu’ailleurs, il y a aussi une place pour l’agriculture industrielle de haute qualité. Le vin l’a prouvé en passant « d’une horrible piquette », comme le chantait Jean Ferrat, à « du bon, du très bon vendu cher, très cher ».
Un modèle à proposer
Ne laissons pas les autres parler à notre place. Nous avons un modèle à proposer : le modèle familial. Et puis, arrêtons de regarder les choses comme si nous avions toujours des difficultés. Jeudi dernier, lors d’une session à Rennes, nous avons ouvert une journée de réflexion sur le thème : « Osons une nouvelle ambition pour l’agriculture ». Notre projet, nourri de notre histoire, pour savoir d’où l’on vient, et tourné vers l’avenir, a pour ambition d’aboutir à du concret d’ici la fin de l’année car les jeunes générations nous regardent et nous attendent.Jacques Jaouen, Président Chambre d’agriculture Bretagne