Les européens pourraient se retrouver avec une gueule de bois après la signature d’un accord de libre-échange avec les États-Unis si l’on en croit Thomas Porcher et Frédéric Farah, économistes, invités par la Coordination rurale.
Les 500 millions d’Européens connaîtront des fortunes diverses en cas d’accord de libre-échange. Certains y gagne- ront, d’autres pas. « Les études indépendantes parlent de 600 000 pertes d’emploi du côté de l’Europe », affirme Thomas Porcher, docteur en économie. Difficile de se faire une idée. Qui gagne, qui perd ? Une étude d’impact par région serait nécessaire pour en connaître les conséquences. « Certains secteurs européens seront gagnants, comme celui de l’automobile. Mais, si les experts de Bruxelles négocient, c’est surtout par idéolo-gie, parce qu’ils croient réellement aux bienfaits du libre-échange sur la croissance et l’emploi ».
Un avis que ne partagent évidemment pas les deux économistes auteurs de « Tafta, l’accord du plus fort », invités à débattre à Pontivy. « En matière d’électronique par exemple, il y a six entreprises américaines dans le top 10 mondial, et aucune européenne. Dans l’informatique et les services financiers, les trois premières entreprises sont américaines. Dans le top 10 des plus grosses marques mondiales, tous secteurs confondus, nous retrouvons huit entreprises américaines et aucune société européenne… ». La prudence s’impose ; l’Europe échange avec la première puissance mondiale qui a les plus fortes multinationales et une monnaie plus facile « à gérer ».
Le Tafta propose aux européens une guerre économique comme idéal.
« Les Américains ont l’avantage d’avoir une monnaie mondiale, le dollar. Ils peuvent avoir une vraie politique monétaire. En Europe, c’est plus compliqué, il faut que tous les pays s’accordent sur une même ligne ». Dans un monde toujours plus concurrentiel, les salaires seraient à la baisse. Il y a donc une menace sur le pouvoir d’achat et la croissance. « Le traité de libre-échan- ge nord-américain Canada Mexique Etats-Unis s’est traduit par des pertes de millions d’emplois aux États-Unis (délocalisations) et au Mexique, notamment dans le secteur agricole ».
Le cas du bœuf
« On échange déjà beaucoup. L’objectif du Tafta est donc d’uniformiser les normes et c’est inquiétant. Logiquement, ce sont les entreprises européennes qui vont devoir s’aligner sur les normes américaines, avec le coût d’ajus- tement que cela implique. Le coût de production du bœuf est 40 % inférieur aux États-Unis. L’Europe aura le choix entre abandonner cette filière ou s’aligner sur leurs normes pour être compétitifs ». Les conséquences sur l’alimentation sont importantes. « Le problème c’est qu’on attaque la norme, et la norme c’est le choix d’un pays. Interdire les OGM ou le bœuf aux hormones est un choix démocratique. »
La création de tribunaux d’arbitrage inquiète également les économistes. Leur rôle sera de gérer les conflits opposant les entreprises aux États, de veiller à ce que les entreprises bénéficient d’un environnement juridique économiquement stable. « La procédure d’arbitrage va renforcer le sentiment de dépossession des citoyens. Les tribunaux d’arbitrage apparaîtront comme une justice privée alors qu’il existe une justice publique compétente aussi bien Europe qu’aux États-Unis ».
De plus en plus de sceptiques
Les négociations piétinent. Les dirigeants européens semblent de plus en plus prudents sur le sujet, sans doute à l’écoute de leurs opinions publiques défavorables au traité. Beaucoup de pays commencent à se demander si le jeu en vaut la chandelle. Les réticences des principaux candidats à l’élection présidentielle américaine ajoutent au scepticisme ambiant sur l’avenir de ce traité.