Une convergence syndicale bretonne ? La conjoncture laitière actuelle serait-elle en passe de faire germer cette idée. Un an après la suppression des quotas il y a déjà un consensus : il faut une régulation de la production.
Il y a toujours des esprits chagrins pour affirmer que si une doctrine ne donne pas les résultats escomptés, c’est parce qu’elle n’est pas appliquée dans son intégralité. Exemple, si l’économie communiste du bloc de l’Est a échoué c’est parce que le dogme n’a pas été appliqué jusqu’au bout. Pour le libéralisme, c’est la même chose. Ceci est transposable à la production laitière. Tant qu’il y avait des quotas ils étaient responsables de tous les maux ; aujourd’hui qu’ils sont supprimés c’est l’économie libre qui est contestée.
[caption id= »attachment_21450″ align= »aligncenter » width= »800″] Alors que la FNSEA s’en prend à la laiterie Lactalis à Laval, la Confédération paysanne a manifesté symboliquement devant la nouvelle usine Synutra à Carhaix (29).[/caption]
Pour une plate-forme commune de revendications
Les chantres du libéralisme à tous crins s’étonnent de voir les agriculteurs refuser d’entrer dans cette danse qu’est l’économie ouverte. Et dont le mouvement de balancier qui file toujours vers plus d’économie libérale a peu de chance de s’inverser brutalement.
En matière laitière, on mesure bien cette réticence de l’Europe à revenir à l’ancien modèle même si les positions françaises sur la régulation, relayées par l’Allemagne et la Pologne, ont fini par avoir un certain écho à Bruxelles. L’incitation financière européenne pour encourager la réduction volontaire de la production laitière est une des premières concrétisations de cette volonté politique.
Aujourd’hui, aucun responsable agricole breton ne s’aventure plus à dire, comme en 2014, que la suppression des quotas laitiers doit être entrevue comme « une opportunité et non comme un risque ». C’est la concorde autour de la régulation. La Confédération paysanne de Bretagne se dit même favorable à élaborer une « plate-forme commune de revendications » avec les autres syndicats. « Nous sommes d’accord avec toutes les organisations – Apli-EMB, Coordination Rurale, FNSEA – qui appellent à une réaction forte pour sauver les paysans, selon les paroles de Marcel Denieul, président de la Chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine », lance Vincent Pennober, président de l’UDSEA-Confédération paysanne du Finistère.
Système de bonus-malus
Accord sur l’objectif de régulation, mais nuances sur la méthode. La Confédération paysanne refuse que des aides soient attribuées aux « mauvais élèves ». Comprendre : pas question d’accorder des fonds publics aux producteurs qui ont augmenté leur production et qui décideraient à présent de baisser.
« Nous sommes plus favorables à un système de bonus-malus. C’est-à-dire de pénaliser les producteurs qui ont surproduit et de compenser par un bonus ceux qui ont produit moins que leur référence. En plus, cet outil ne coûterait rien à la collectivité », poursuit Vincent Pennober, regrettant que « la FNSEA privilégie des solutions provisoires, même si on sent de fortes nuances internes, voire contradictoires. Nous, nous travaillons sur un projet laitier global qui permette de faire remonter les prix et les stabiliser à court, moyen et long terme ».
Rebond du prix des commodités
« Dans l’analyse des marchés mondiaux, on voit un semblant de remontée », lâche pour sa part Hervé Moël, vice-président de la FRSEAO lait. Il s’appuie sur les cours des produits laitiers à la hausse depuis un mois sur la plate-forme d’enchères néo-zélandaise Global Dairy Trade (GBT), qui fixe les tendances du marché mondial pour la poudre grasse.
Cet indice GBT compilant les cours des principaux produits échangés sur la plate-forme (poudre de lait, beurre, lactose…) a augmenté de plus de 20 %, entre le 19 juillet et le 16 août retrouvant un niveau comparable à celui d’octobre 2015. « La hausse observée durant les 2 enchères d’août est la première vérification de notre prévision ; la réduction de l’offre mondiale va porter les prix à la hausse durant le reste de l’année 2016 », commente quant à lui l’économiste de la banque néo-zélandaise ASB, Nathan Penny, dans une note récente.
Ce rebond des commodités est « un signal faible, mais positif ». Pourtant les producteurs ne se leurrent pas. « Vu la réactivité du marché français, nous ne sommes pas prêts d’en voir la couleur », a réagi lundi dernier un éleveur costarmoricain au cours d’une réunion d’information organisée à Plérin par la section laitière de la FDSEA 22. D’autant qu’en Europe, il y a de la marchandise dans les placards. Le stockage privé de beurre s’élève à 92 548 t (dont 18 773 t en France). Pour la poudre de lait écrémé, c’est 307 000 t (58 053 t en France) à l’intervention et 33 756 t (1 572 t en France) en stockage privé (source Cniel / Commission européenne).
Nous avons un vrai savoir-faire
Nous ne validerons jamais les prix qui nous sont proposés aujourd’hui. Ce décrochage de 100 €/1 000 L est la conséquence de ce qui se passe sur le marché mondial. Nous le voyons, ces marchés, auxquels on fait rêver les producteurs sont des marchés ponctuels. Tous les acteurs de la filière ne font pas preuve de responsabilité et les producteurs payent la facture. La France a un vrai savoir-faire pour valoriser son lait en produits de grande consommation et en poudres de haute technicité. Or, avec la restructuration qu’on nous impose, nous allons perdre notre image et nos spécificités qui font de la France le pays aux 1 000 fromages.Joël Kerglonou, représentant Confédération paysanne à l’Interprofession laitière
Toma Dagorn – Didier Le Du