Rassurez-vous. Ce monstre ne verra pas le jour, faute d’intérêt. Le monde scientifique est cependant bousculé par une méthode révolutionnaire permettant de modifier l’ADN de tout être vivant, avec une facilité déconcertante.
Un danger pour certains, qui les jugent plus nocifs que les OGM, une véritable avancée scientifique pour d’autres qui salivent déjà en pensant aux gains potentiels liés à ses nombreuses applications. L’enzyme programmable, au nom barbare “Crispr-Cas9”, affole, depuis quelques mois, la communauté scientifique. Qui est-elle ? Que fait-elle ? Et surtout, quelles sont les applications possibles dans le monde de l’élevage ? Alain Ducos, de l’école vétérinaire de Toulouse, a tenté d’y répondre lors d’un séminaire organisé par Bioporc*.
Efficace et pas cher
L’enzyme en question fonctionne comme des ciseaux génétiques : il cible une zone spécifique de l’ADN, la coupe et y insère une nouvelle séquence d’ADN choisie. D’autres enzymes nucléases savaient déjà le faire. Pourquoi parler de révolution? « Tout étudiant en master de biologie qui dispose d’un équipement standard d’un laboratoire est à même de manipuler le système Crispr-Cas9 pour éliminer ou modifier un gène ». On passe de la haute coupure à la fabrication de vêtements en série. La révélation fait froid dans le dos. Des milliers de chercheurs dans le monde utilisent déjà cet outil dont les domaines d’application sont très variés, notamment en élevage.
Individus résistants aux virus
Le nouvel outil permet donc d’aller plus vite et plus loin en termes de santé animale, de protection de l’environnement, de bien-être ou de qualité nutritionnelle des produits. Des exemples concrets? « Les porcs dont le gène codant la protéine CD63 a été inactivé sont devenus résistants à certaines souches de SDRP ». Des chercheurs américains, chinois ou brésiliens sont-ils déjà en train de sélectionner ce type de cochons pour nous les vendre dans quelques années ? C’est fortement envisageable… Les bovins sans cornes pourraient, grâce à cette technique, investir les étables bien plus rapidement que par les méthodes actuelles de sélection. Les poules, ne plus pondre des œufs avec des protéines allergisantes. Les porcs, produire une viande avec un meilleur équilibre en acides gras oméga 3-omega 6. On le voit, les avancées potentielles sont nombreuses en matière de sélection animale.
Des moyens financiers
La technique est encore perfectible. « Les quelques limites techniques sont ou seront très prochainement surmontées compte tenu des moyens financiers alloués à la recherche ». Doit-on s’attendre, dès lors, à une révolution pour la sélection et l’élevage? « Je suis nuancé », répond Alain Ducos. « Certains critères importants comme la prolificité ou l’efficacité alimentaire ne sont pas codés par un seul gène mais par plusieurs ». Il doute également de la durabilité des avantages acquis. « Dans le cas de la protection contre le SDRP, par exemple, les virus pourraient évoluer et finir par contourner l’obstacle ».
La technique suscite surtout des espoirs dans le traitement des maladies humaines, en faisant produire des médicaments par des animaux ou des bactéries modifiés. La « paire de ciseaux génétique » est capable de découper très précisément un segment d’ADN problématique, un gène codant pour une maladie, et de le remplacer par une copie non défectueuse. Voilà pour le côté pile. Pour le côté face : les Chinois ont déjà modifié des embryons humains ce qui est pourtant interdit par une convention internationale. À terme, se pose la question de l’eugénisme car les méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique d’une espèce animale peuvent être appliquées à l’espèce humaine.
Une technologie acceptée ?
Dans le domaine de la sélection animale, la question de l’acceptabilité sociétale se pose également. Certains pays européens poussent pour faire accepter le modèle. L’USDA (agence américaine), qui évalue les procédés biotechnologiques, va dans le sens des chercheurs favorables à la technique. Les États-Unis seront sans doute, comme souvent, moins frileux. Et la France? La recherche se poursuivra dans les laboratoires de l’Inra. Que se passera-t-il si le pays l’interdit et qu’une société privée étrangère commercialise des produits modifiés, difficiles voire impossibles à tracer? Beaucoup de questions restent en suspens mais l’avidité des multinationales n’a pas de limites…Quoi qu’il en soit, pour le chercheur, dans la décennie à venir, les progrès génétiques attendus se feront grâce aux techniques connues et acceptées, notamment la génomique.
Il faut investiguer les nouveaux outils de sélection
Les nouveaux outils de sélection sont de plus en plus nombreux. Toutes ces technologies demandent à être investiguées avant de les faire entrer dans les schémas de sélection car elles apportent plus de questions que de réponses. Comment les utiliser au mieux? La mise en place de la sélection génomique a pris du temps en porc (plus que dans l’espèce bovine laitière) car nous devions bien mesurer son intérêt (ratio coût-bénéfice). La mutualisation des moyens doit nous permettre d’être plus novateurs, plus audacieux. Nous ne pouvons pas faire l’impasse sur les investissements liés à la recherche. Nous devons travailler en relation étroite avec l’Inra; lutter pour avoir des financements pour les chercheurs. Michel Sourdioux, président de Bioporc
*Bioporc regroupe les organisations de sélection Axiom, Nucléus et Choice Génétics.