Le Grand Ouest cherche des solutions pour limiter la soja-dépendance de son élevage.
Premier maillon d’une industrie agroalimentaire très présente dans l’Ouest, l’élevage en Bretagne et Pays de la Loire représente un chiffre d’affaires de plus de 10 milliards d’euros. « Mais pour nourrir ses animaux, ces territoires, comme d’autres régions européennes, dépendent massivement de l’importation de protéines. Principalement du soja, 2,7 millions de tonnes d’équivalents tourteaux, à prix fluctuant, parcourant plus de 10 000 km, pouvant être sources d’OGM… », rappelle Marie-Pierre Cassagnes, du Pôle agronomique ouest.
Diminuer la dépendance
Devant une tendance haussière claire, les économistes de Cerfrance Côtes d’Armor répètent qu’il faut s’habituer à une protéine chère, voire rare. Nina Rabourdin, chez Terres Inovia (ex-Cétiom), enfonce le clou : « Le marché mondial des protéines végétales reste tendu en raison de la forte demande des pays asiatiques. La Chine représente à elle seule plus de 60 % des importations de soja. Cette situation s’aggravera probablement sous l’effet de l’évolution de la démographie et des transitions nutritionnelles protéiques. »
Pas étonnant que dans le Grand Ouest, chercheurs, industriels et agriculteurs s’intéressent à la question. À la journée « Des légumineuses pour l’élevage » de l’Académie d’agriculture de France fin 2016 à Rennes (35), un participant a tenu à recadrer les choses : « Parler d’autonomie est un abus de langage. Nous devons plutôt parler d’une diminution de notre dépendance. Et n’oublions pas que relever ce défi aura des conséquences plus larges sur les ports de Brest, Lorient et Montoir dont le tiers de l’activité est lié à l’importation de tourteaux et graines, sur nos usines de trituration et même sur notre cheptel… »
Reste que les surfaces en oléoprotéagineux plafonnent depuis des décennies face aux céréales en Europe : « Leur compétitivité est insuffisante si on raisonne seulement à la culture annuelle, sans prendre en compte par exemple l’intérêt comme précédent dans une rotation », note Corinne Peyronnet, chez Terre Univia (Interprofession des huiles).
D’autres freins sont soulignés. L’interdiction d’épandage sur la plupart des cultures protéagineuses restreint les surfaces. Mathieu Carof de l’Agrocampus Ouest aborde aussi l’importance d’une Pac incitatrice. « Rien n’avance quand la marge brute protéagineux + aides restent inférieures à la marge brute céréales… » Une éleveuse de Mayenne insiste aussi sur « la fragilité d’un système autonome basé sur les légumineuses fourragères les années sèches et sur la difficulté à trouver une source d’énergie concentrée pour complémenter une luzerne encombrante… »
Parler d’autonomie protéique est un abus de langage, parlons plutôt d’une diminution de notre dépendance.
Alors les initiatives se multiplient. Le « méta-projet » SOS Protein en Bretagne et Pays de la Loire rassemble plusieurs programmes de recherche notamment co-financés par le Feader. Derrière l’objectif commun d’augmenter l’autonomie des filières de l’Ouest (bovins, porc, volaille…), plusieurs axes : « Sécuriser les cultures de pois, lupin et féverole ; produire des fourrages riches en protéines ; optimiser la valorisation digestive de la fraction azotée ; évaluer l’impact territorial des différentes stratégies d’amélioration de l’autonomie protéique… », égraine Marie-Pierre Cassagnes.
À une autre échelle, en Mayenne, un prototype de machine ne récoltant que les feuilles de la luzerne est testé pour obtenir une matière très riche en protéines (autour de 30 % et surtout riche en acides aminés essentiels, méthionine, cystine et lysine). « On entrevoit là la possibilité d’introduire une fourragère dans les rotations simplifiées des ateliers hors-sol » En Ille-et-Vilaine, Karim Elouali, installé en bio sur 250 ha en grande culture, teste avec la Coopédom (spécialiste de la déshydratation de fourrage) l’utilisation d’une bineuse avec guidage par caméra pour désherber une luzerne semée à 15 cm d’inter-rang…
Protéagineux locaux dans les aliments ?
Pour la nutrition animale, Hervé Vasseur, représentant de Feedsim qui rassemble 15 fabricants bretons d’aliments du bétail, explique qu’« aujourd’hui, la protéine est apportée à 27 % par les céréales dans les aliments composés. Il y a une place à prendre. D’ailleurs, chaque point de protéine gagné en blé est une porte d’entrée pour des protéagineux dans nos formules. » Avant de rappeler que la baisse des aides publiques induit toujours « une diminution de la production et donc de l’incorporation ». Pour autant, les industriels sont sur le coup. Anne-Gaëlle Goachet, chez Tromelin Nutrition, vante l’extrusion de graines de féveroles locales. « Nous substituons du soja en maintenant un prix de correcteur compétitif avec un maintien des performances laitières. L’enjeu est aujourd’hui du côté de la maîtrise de l’itinéraire technique par les agriculteurs voulant contractualiser avec nous. Pour conclure, on est au stade du maïs il y a 40 ans. Il y a donc de l’espoir… » Peut-on souhaiter aux légumineuses le même destin dans l’Ouest que la fameuse fourragère ?
La Bretagne a du potentiel
Les légumineuses, capables de fixer l’azote, sont des plantes miraculeuses. Nous, Bretons, sommes capables de produire une luzerne à 15 % de protéines et 15 t de MS / ha, c’est-à-dire de sortir 2 à 3 t de protéines / ha / an… Au Brésil, dans le Mato Grosso, sur la même parcelle, avec 2,5 cultures par an de soja à 50 % de protéines et de maïs à 9 %, ils n’obtiennent que 1,8 à 1,9 t / ha de protéines… Nous avons le potentiel. Notre défi ? Le désherbage. Une culture propre est primordiale car les légumineuses sont fragiles. L’autre défi porte sur le faible rendement stagnant depuis 50 ans des pois, féverole ou lupin qui ne trouvent pas leur place dans les assolements. Ces protéagineux à graines à 45 q / ha à 18 % de protéines donnent 800 kg de protéines. 80 q d’un blé fournissent aussi 800 kg de protéines / ha avec 3 000 UF en prime. Olivier Allain, en charge de l’agriculture à la Région.