Dans les archives de Paysan Breton :
Un bateau était en rade, à ce moment même, amenant d’Argentine 180 chevaux de boucherie pour les débarquer dans ce port du premier département de France pour la production chevaline et le plus atteint aussi par le marasme du marché. Dimanche après-midi, 8 mars, devant le magnifique panorama de la rade de Brest, arrivant en car, en voiture, à bicyclette, les paysans du Finistère se rassemblaient dans l’immense magasin d’expédition des Coopératives Agricoles du Finistère et des Côtes-du-Nord.
En moins d’une demi-heure, ils étaient là plus de six mille. Pourquoi ? Pour crier leur indignation contre des importations de chevaux onéreuses pour les finances françaises, malfaisantes pour le marché du cheval en plein marasme, insultantes pour les cultivateurs finistériens puisque c’est sous leur nez, dans un port qui est un peu le leur puisqu’ils le font vivre à plus d’un titre, que ces chevaux sont débarqués.
« C’est une queue de licence d’importation obtenue sous le gouvernement précédent » dit-on. Il y a des licences qui ont la queue longue – comme il existe des importateurs qui doivent avoir le bras long… quand ils y mettent certaines rallonges : dans le cas de ces 180 chevaux d’Argentine, le bénéficiaire de cette « queue de licence » n’a pas dû perdre son temps : supposons qu’il ait 20 000 francs par cheval, cela fait au total 3 600 000 francs, de quoi « graisser le marteau » de certaines portes sans risquer de se ruiner.
La ruine de l’éleveur, ça ne compte pas : c’est si loin de Paris, la Bretagne ! Eh bien ! Non : les cultivateurs bretons ne se laisseront pas faire ni insulter une fois de plus. C’est la deuxième provocation dirigée contre eux : la première c’était il y a quelques mois, le débarquement de pommes de terre Arran Banner, également à Brest.
En défilant dans les rues de Brest, le 8 mars, du port du commerce à la Sous-Préfecture, formant une colonne de plus d’un kilomètre, ils étaient calmes. Calmes, mais décidés… Décidés à revenir s’il le faut. Et cette fois en nombre et en forces de complément contre toutes ces choquantes importations de choc. Puisse-t-on le comprendre en haut-lieu !
Espérons aussi qu’ils ont compris, ceux qui prétendaient que les dirigeants syndicaux n’étaient pas suivis par leurs troupes : derrière Uchard, Belbéoc’h, Abeguile et le conseil d’administration de la FDSEA, Morvan, président des Étalonniers et Monnier, président du Stud-Book, Le Berre, président de la société d’Agriculture de l’arrondissement de Brest avec les deux parlementaires qui avaient participé à la réunion : MM Pinvidic et Le Bot, il y avait six mille paysans, alertés en moins de trente-six heures.
Venus de tous les coins du département. Ceux qui espéraient envelopper le syndicalisme paysan « dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts », ne se doutaient peut-être pas qu’en voulant brimer les paysans bretons, ils les poussent à resserrer les liens qui les unissent dans leur syndicat et dans toutes les organisations professionnelles. En gagnant au moins sur ce point là, l’agriculture a des chances d’être de moins en moins perdante sur tous les autres tableaux.