C’est une fleur de la ville qui s’épanouit en pleine campagne. Anaïs Kerhoas a choisi de devenir agricultrice. Un parcours semé d’obstacles pour cette jeune femme non originaire du milieu agricole qui a grandi à Saint-Malo. Aujourd’hui installée à Sains, elle cultive des plantes à partir desquelles elle élabore des tisanes. Avec goût et saveur.
Sous le soleil insistant de cet après-midi de printemps, les plantes exhalent leur parfum. Dans l’air, se mélangent des odeurs de menthe poivrée, sauge, mélisse, romarin… Accroupie dans son rang, un fichu sur la tête, Anaïs Kerhoas est en plein travail. « Désherber, je trouve cela reposant. C’est presque un moment de méditation pour moi ». Les gestes de la main de la jeune agricultrice sont précis, rapides, efficaces. Et l’on y perçoit toute sa détermination. Il lui en a fallu de la ténacité pour mener à bien son projet d’installation.
Certains ont même essayé de la dissuader : « Tu es de la ville, tu es une femme, tu es jolie, tu n’as rien à faire dans les champs »… Pas vraiment le genre d’arguments à faire renoncer la demoiselle férue des couleurs, saveurs et propriétés des plantes. « Après mon bac, j’ai suivi une formation avec l’Association pour le renouveau de l’herboristerie ». Lors de sa deuxième année, elle effectue un stage chez Gérard Bensoussan, producteur de plantes médicinales et aromatiques installé dans le pays bigouden depuis une trentaine d’années. Une rencontre décisive qui la confirme dans son choix professionnel. C’est décidé, comme lui, elle cultivera ses propres plantes et concoctera des tisanes.
Culture et cueillette
Avant de se lancer, elle décroche un BPREA et travaille durant une année sur une exploitation maraîchère, « c’était ce qui se rapprochait le plus de ce que je voulais faire ». Puis, avec l’aide d’amis, elle construit un séchoir dans une ancienne caravane ainsi qu’un tunnel pour sa pépinière. Elle démarre sa production sur un premier site où elle loue des terres. Fin 2015, sa persévérance est enfin récompensée, elle trouve à acheter une maison et 1,4 hectare sur la commune de Sains. « En plus, comme les prairies n’étaient pas travaillées depuis de nombreuses années, j’ai pu démarrer directement en bio ».
[caption id= »attachment_27537″ align= »aligncenter » width= »680″] Le hangar situé sur l’exploitation sert de lieu de stockage. La cellule de séchage a, elle, été aménagée dans une ancienne caravane.[/caption]
Sur sa parcelle, Anaïs n’utilise pas de tracteur. Des bandes enherbées séparent les rangs des différentes plantations. « Je cultive une quarantaine de variétés de plantes et j’en ramasse six ou sept autres, comme l’aubépine, en cueillette sauvage ». Tout en conservant cette diversité, forte de l’expérience de ses ventes, elle va pouvoir désormais affiner les quantités à produire. « À l’avenir, je vais faire moins de thym et plus de menthe. Je connais maintenant les mélanges qui plaisent ». Des mélanges qu’elle imagine et prépare pour leur goût ou pour leurs vertus.
[caption id= »attachment_27536″ align= »alignright » width= »149″] Christophe Drugeot, responsable de clientèle
agricole, Pôle d’expertises CMB de Combourg (35)[/caption]Un projet cohérent qui a du sens
L’accompagnement par le Crédit Mutuel de Bretagne du projet d’installation d’Anaïs Kerhoas était avant tout basé sur la confiance, compte tenu du domaine d’activité atypique. La persévérance et la pugnacité dont elle a fait preuve démontrent toute sa détermination. Anaïs a su s’approprier et détailler un prévisionnel prudent, répondant à la fois aux fondamentaux économiques et financiers. Ce projet, qui va de la production à la commercialisation, a du sens et il est cohérent dans son ensemble. Et c’est cela qui est important. Christophe Drugeot, responsable de clientèle agricole, Pôle d’expertises CMB de Combourg (35)
Pas la star de la tisane
La commercialisation, sous la marque « Les tisanes d’Anaïs », se fait pour les deux tiers via le site web (www.lestisanesdanais.fr), le reste étant vendu localement en coopérative bio et dans les boutiques du chef breton Olivier Roellinger. « Je l’ai rencontré par l’intermédiaire de Marion Gervais, une réalisatrice qui a tourné un film sur mon parcours », précise la jeune femme. Intitulé « Anaïs s’en va-t-en guerre », le documentaire retrace de manière sensible les différentes étapes de l’installation, sans occulter les moments de doute et de découragement. La jeune agricultrice s’y dévoile pleine d’envie, courageuse, passionnée, touchante.
Diffusé sur TV Rennes, le film a fait un tabac et il comptabilise par ailleurs plus de 700 000 vues sur les réseaux sociaux. Un succès qui n’a pas été sans conséquences pour Anaïs. « J’ai trouvé rigolo de participer à cette aventure mais je n’ai pas vocation à être star de la tisane. Pendant un an, j’ai reçu près de 300 mails par jour… Depuis, je suis devenue un peu ours ! » « Vivons d’amour et d’eau chaude », telle est la proposition qu’elle affiche en exergue sur ses cartes de visite professionnelles. La formule est belle mais ne dit pas les longues heures de travail que représente chaque sachet de tisane. « Je me suis beaucoup mis la pression au démarrage, reconnaît Anaïs. Je suis moins stressée maintenant. Je suis dans les clous de mon tableau de marche. Dans cinq ans, ce sera bien. J’apprends la patience en même temps que les plantes ! »
[caption id= »attachment_27539″ align= »aligncenter » width= »400″] Anaïs Kerhoas a concrétisé son rêve. Elle cultive sur son exploitation les plantes utilisées pour concevoir les tisanes qu’elle commercialise.[/caption]
En attendant, se profile une nouvelle étape. « Je me suis promise que lorsque je gagnerai un Smic horaire, j’adresserai un sachet de mes tisanes à tous ceux qui ont essayé de me décourager ». Un sympathique pied de nez. Et la preuve qu’un plat qui se mange froid peut avantageusement être remplacé par une boisson chaude. Et apaisante.
Jean-Yves Nicolas