Goût et plaisir, naturalité, histoire, usages… Le beurre ne manque pas d’attributs positifs. Mais il doit retrouver de la modernité. Si la demande augmente en industrie, viennoiserie et pâtisserie, les ventes baissent en GMS.
Le beurre fait partie du patrimoine culinaire du Grand-Ouest. Environ 80 % de la production beurrière française est concentrée en Normandie, Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes. Mais elle est aujourd’hui en forte baisse. Entre 1983 et 2013, elle est passée de 465 000 à 275 000 t sur le Grand-Ouest, soit une baisse de plus de 40 %. « Alors que l’Allemagne et la France affichaient une production similaire en 1983, les premiers fabriquent aujourd’hui 473 000 t, alors que nous plafonnons à 398 000 t au niveau national. En 2014, la France a exporté 100 000 t, mais en a importé 209 000 », chiffre Freddy Thiburce, directeur général du Centre culinaire contemporain, à Rennes. Début mai, une cinquantaine d’acteurs et experts y étaient réunis pour débattre de l’avenir de la filière beurre.
« En un an, le prix du beurre a augmenté de 80 % »
Alors que la tendance était plutôt au stockage pendant des années, depuis quelques mois, on parle de pénurie de beurre. Avec environ 8 kg par an et par habitant, les Français sont les premiers consommateurs au monde de cet aliment. Même si les achats par les ménages ont baissé de 2 % l’an passé, la demande est forte chez les industriels et les boulangers/pâtissiers. « En un an, le prix du beurre a augmenté de 80 %. Alors que les viennoiseries en contiennent 30 %, le prix du croissant n’a pas changé. C’est difficile de répercuter la hausse auprès des consommateurs », constate Pascal Schneider Maunoury, directeur marketing Bridor. « Mais nous devons retrouver des volumes, travailler sur les goûts, les couleurs, l’identification… Les utilisateurs pourraient sinon se tourner davantage vers des beurres importés ou d’autres matières grasses. »
Un mauvais procès
Alors que le beurre a longtemps été accusé à tort de favoriser le cholestérol, aujourd’hui, il retrouve ses lettres de noblesse. Pendant des années, la compétition avec le monde végétal (margarines, huiles…) a été rude. D’autant plus que ces derniers ont largement surfé sur la vague « santé », et ont beaucoup innové. « Le beurre est moins gras que les huiles. Il contient des vitamines A et D et de nombreux acides gras intéressants. La matière grasse laitière qui a été enlevée des formules de lait infantile devrait d’ailleurs y être réintégrée pour son intérêt nutritionnel », souligne Philippe Legrand, spécialiste de la nutrition humaine (Agrocampus – Inra).
Un produit mal connu
[caption id= »attachment_27360″ align= »alignright » width= »146″] Freddy Thiburce, Directeur général du Centre culinaire contemporain[/caption]
Le manque de créativité et de modernité pèse sur le marché du beurre, produit intemporel. L’hypermédiatisation des chefs, de la cuisine et de la pâtisserie est une chance à saisir pour inscrire durablement des usages culinaires du beurre dans les tendances actuelles. Et le beurre reste un produit mal connu y compris dans ses modes de production et de fabrication. Les opportunités digitales peuvent nous permettre d’améliorer la connaissance auprès des futurs professionnels et la transparence auprès des consommateurs. Les beurres de France pourraient aussi profiter de la territorialisation de l’alimentation : Manger français, locavores…Freddy Thiburce, Directeur général du Centre culinaire contemporain
Plus d’argent pour le beurre
Du côté des éleveurs, produire davantage de beurre demain serait possible « à condition d’améliorer la rentabilité de ces filières, d’innover et d’obtenir des compensations », souligne Frédéric David, éleveur à Domagné (35). Pascal Clément, président de la section laitière de la FRSEA du Grand-Ouest, se pose la question de la durabilité. Car augmenter le taux ou la quantité de matières grasses prend du temps, demande des investissements… Et les attentes actuelles en faveur du bien-être animal ou le végétalisme peuvent jouer en défaveur du beurre.
Autre point faible, l’organisation du rayon des beurres en GMS. « Il existe une grande diversité de références, avec des positionnements sur le prix, l’origine géographique (AOP), le bio, le beurre de baratte, différents conditionnements, formats… Des marques fortes et reconnues inspirent confiance. Mais en rayon, il n’y a aucune cohérence, aucune logique avec le positionnement », observe Olivier Beucherie, consultant et enseignant.
Pour la culinarité, la gastronomie, la pâtisserie… des demandes de différenciation existent. Mais le goût des consommateurs est marqué par 40 ans de production industrielle très standardisée. « La crème a longtemps été considérée comme un coproduit avec des marges faibles et donc des investissements limités en intelligence technologique. Tout le monde utilise les mêmes levains », explique Franck Sobolewski, directeur de Philolao (plate-forme R & D spécialisée sur les matières grasses).
« La vision de l’arôme d’un beurre est limitée à 3 composés majeurs : acétoine, diacétyle et acide acétolactique. Les composés mineurs, représentatifs de la typicité, de la persistance aromatique, sont méconnus. On ne sait pas quelle flore utiliser pour les obtenir. Aujourd’hui, les financements de recherche manquent sur ces thèmes… » Le consommateur ne sait identifier que le mauvais goût du beurre, et on ne sait pas s’il recherche des « beurres à goût ». « Par ailleurs, les beurres de marque évoluent difficilement, car ce produit demeure un porte-drapeau de l’image de la marque à la table quotidienne des Français. » De nombreuses questions demeurent donc dans cette filière, malgré un regain d’optimisme lié au dynamisme récent du marché.