Cette semaine Paysan breton vous emmène découvrir un de ces lieux si ordinaires et pourtant si extraordinaires de Bretagne. Voyage au pied d’une chapelle où le légendaire Guinvarc’h est roi.
C’est un cri. Un cri claironnant dans l’aube silencieuse de la campagne bretonne d’un matin de juillet. Ou peut-être est-ce l’aubade d’un oiseau fantasmagorique qui retentit de l’enfer pour rappeler les maléfices du roi Guinvarc’h qui fit tant de mal à ses sujets. Les passereaux communs, eux, ne semblent pas effrayés par ce tumulte céleste et continuent de dispenser leurs gazouillis pour égayer la basse terre en ce matin ensoleillé.
Un écrin de vert et de pierre
[caption id= »attachment_28311″ align= »alignright » width= »172″] Le cri intrigant d’un paon voisin invite parfois le marcheur à s’arrêter sur ce site.[/caption]
Ce cri qui jaillit avec puissance des hauteurs vous invite cependant à lever les yeux vers la cime de deux ifs séculaires plantés au couchant de la chapelle Saint-Ruelin, au Moustoir, à Châteauneuf-du-Faou. Et à vous arrêter. À vous arrêter dans cet écrin de vert et de pierre qui abrite un édifice religieux du XVIe siècle.
Sur cette prééminence que vous atteignez après avoir gravi un raidillon prenant sa source sur les rives du canal de Nantes à Brest, l’homme et la nature se sont visiblement accordés pour créer un décor harmonieux. Ce cadre équilibré a d’ailleurs valu à l’association de sauvegarde de Mibien Ar Men Koz (les enfants des vieilles pierres), le Trophée de la mise en valeur paysagère des édifices religieux, décerné par l’Union nationale des entreprises du paysage (Unep).
Deux ifs de 700 ans
Pour autant que l’homme avait le sens de l’esthétique et de la postérité quand il construisait des bâtiments de culte, la nature n’a pas d’égal pour traverser le temps. En témoignent ces deux ifs immortels – jadis trois –, classés « arbres remarquables » et datés de 700 ans. Un âge respectable qui ferait que ces arbres fussent plantés à l’époque de la Guerre de Succession de Bretagne, au pied du mur d’un monastère succédant lui-même à un établissement fondé par saint Ruellin, évêque de Tréguier au VIe siècle. Le secret de cette histoire appartient au lieu…
Le tintamarre matinal de l’oiseau mystérieux qui a conduit à faire une halte au Moustoir ne porte pas le poids du secret d’une aussi longue histoire sur ses ailes. Il est vite trahi par le bleu cristallin de son cou qui tranche avec le vert profond des aiguilles de l’if. Là-haut, pavanant comme un roi soleil, un paon orné de toutes ses plumes de séduction semble régir les environs. Comme le fit en son temps l’infortuné roi Guinvarc’h avec sa crinière et ses deux oreilles de cheval dont la statue s’agrippe sur la base du clocher de la chapelle, foudroyé en 1852.
Comme le roi Midas en Phrygie et le roi Marc’h en Irlande, en Bretagne, le roi Guinvarc’h symbolise l’offense à Dieu. Une légende celte similaire parle du roi Eochaid avec ses oreilles de cheval.
Des ciseaux aux pouvoirs magiques
Si les oreilles du roi Guinvarc’h pouvaient être dissimulées sous un « kalabousen » (casquette à poil), la crinière qui ne cessait de pousser devait tous les jours faire l’objet des soins d’un barbier. Pour garder secrète sa disgrâce, Guinvarc’h était contraint de mettre à mort tous les barbiers les uns après les autres. Jusqu’au jour où se présente un jeune homme du nom de Yeunig. Celui-ci prétendit posséder des ciseaux dotés de pouvoirs magiques.
Au grand étonnement de Guinvarc’h, le lendemain, la royale crinière n’avait pas repoussé. Dans la crainte que le phénomène ne fût pas durable, Guinvarc’h laissa la vie à Yeunig. Mais le secret était lourd à porter. C’est pourquoi le jeune barbier se décida à creuser un trou au pied d’un sureau, arbre qui avait la réputation d’éloigner le Démon. Dans le fond du trou, il répéta plusieurs fois : « A roue Guinvarc’h deuz discouarn marc’h » (le roi Guinvarc’h a deux oreilles de cheval). Il reboucha le trou et oublia l’affaire, relate Louis Grall, passionné d’histoire locale.
Le roi couvert de honte
Longtemps après, Guinvarc’h invita, selon la tradition, tous les danseurs des alentours pour refaire l’aire à battre les moissons. Un musicien qui avait besoin de remplacer l’anche de son instrument alla cueillir une branche de sureau au pied duquel Yeunig avait enterré son terrible secret. Aussitôt que le sonneur fut monté sur sa barrique, il porta l’anche à sa bouche
Mais avant qu’il ait pu la saisir entre ses lèvres, l’instrument d’un air moqueur se mit à jouer seul en répétant à qui voulait l’entendre : « A roue Guinvarc’h deuz discouarn marc’h ».
Furieux, le roi Guinvarc’h jeta le sonneur à bas de sa barrique et se saisit de l’instrument. Dès qu’il approcha l’anche de ses lèvres, on entendit à nouveau la triste vérité. Couvert de honte, Guinvarc’h disparut dans l’Île Chevalier près de Pont-l’Abbé.