La question de la différenciation et de la valeur ajoutée prend de l’ampleur au sein de la filière laitière. Elle permettra de développer, mais aussi de conserver certains marchés, en Europe ou à l’international.
Aujourd’hui, 42 % de la collecte laitière française est exportée : 30 % en Europe et 12 % vers les pays tiers. Mais la grande difficulté pour les acteurs de la filière est de cerner les attentes des consommateurs, différentes selon les zones du monde. Dans les pays riches, les courants vegans accroissent leur influence. « Notre élevage et notre alimentation sont deux mondes remis en cause aujourd’hui. Les éleveurs laitiers disposent encore d’une très bonne image, mais elle s’érode… 58 % des gens que nous avons enquêtés s’interrogent, s’intéressent aux débats autour de l’élevage dans son ensemble », a souligné Véronique Pardo, anthropologue à l’Observatoire Cniel des habitudes alimentaires, lors des Rencontres laitières du Grand Ouest, le 4 juillet à Rennes (35).
« Alors qu’en 2009/10, la plus grande source d’inquiétude par rapport aux produits laitiers était l’alimentation animale, en 2016, c’est l’hygiène et la fraîcheur qui sont en tête, le bien-être animal et l’industrialisation font leur apparition. » Les questionnements sont de plus en plus forts sur les pratiques d’élevage, de transport et d’abattage des animaux. « Les Français ne sont pas prêts à devenir vegans, mais n’acceptent plus certaines pratiques. »
Dans certains pays européens, des filières différenciées sur les modes d’élevage existent déjà. À l’image du lait de foin en Autriche, du lait de prairie aux Pays-Bas… Lors du colloque, plusieurs intervenants ont souligné que les filières françaises doivent davantage anticiper. « Aujourd’hui, nous subissons. » « Pour garder un de nos marchés allemands de 7 500 t de fromages, nous avons dû mettre en place un cahier des charges spécifique avec du lait issu d’animaux nourris sans OGM. Le retour chez les producteurs engagés est de 10 €/1 000 L », témoigne Florence Quioc, directrice de Sodiaal sur l’Ouest.
Un futur porteur pour le beurre
Dans un marché européen saturé, la valeur ajoutée se fera aussi sur l’export. Et c’est l’Europe qui a le plus fort potentiel de développement. Dans les 5 ans, on devrait globalement rester sur une différence importante entre prix de la matière grasse et des protéines. En Chine, les importations vont s’accroître, mais elles vont évoluer vers beaucoup plus de fromages, de crème, de beurre. Devenu riche, ce pays investit à l’étranger – en France, Nouvelle-Zélande, Australie, États-Unis…- pour contrôler ses importations. Le retour de la valeur ajoutée vers nos filières se pose. Par ailleurs, nous étions partis sur des cycles du marché laitier de 3 ans depuis 2007. J’y crois de moins en moins. La volatilité va plutôt s’accélérer. Christophe Lafougère, dirigeant du groupe Gira, consultant sur les marchés agroalimentaires
Un socle collectif
Mais faut-il y aller collectivement ou segmenter ? « Pour moi, il faut construire un socle commun. Si nous y allons dispersés, le risque est que les cahiers des charges s’imposent à nous », pense Benoît Rouyer, économiste au Cniel. « Le lait de foin en Autriche est parti d’une démarche privée et comme c’est une STG (Spécialité traditionnelle garantie, un signe de qualité européen), aujourd’hui il y a un cahier des charges à suivre. »
En Allemagne, « le bien-être animal ou le sans-OGM ont pris une place beaucoup plus importante que chez nous : Lidl vend un lait sans OGM depuis l’an dernier, les concurrents suivent. Cette année, le distributeur a mis en place en Bavière un logo qui répond à la charte de l’équivalent de la SPA là-bas. Aldi devrait suivre fin 2017. »
A l’international, la demande en produits laitiers va s’accroître fortement dans les années qui viennent, en Asie, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique. « Et ce ne sont pas nos AOP françaises qui sont vendues sur ces marchés, mais plutôt du cheddar, de la mozzarella… En Chine, les enfants mangent des fromages aromatisés à la fraise, à la vanille. La transparence et la confiance sont recherchées ; les Chinois importent des marques qui sont déjà fortes dans leur pays d’origine », note Antoine Meurisse de Sodiaal qui exporte dans 80 pays.
Demande de confiance à l’export
« Aujourd’hui, nous avons besoin d’une diversité de production sur trois grands marchés : GMS, restauration hors domicile et industriels. Comme en France, faire passer les hausses à la grande distribution à l’étranger reste difficile », ajoute Bertrand Rouault, d’Eurial (branche lait d’Agrial). Pour le groupe Bel, présent dans 130 pays, l’export représente 80 % du chiffre d’affaires. « Avec une croissance démographique continue et des classes moyennes en fort développement, y compris en Afrique, la filière laitière a des perspectives, même si les marchés export peuvent être compliqués avec une instabilité politique croissante… », présente Laurent Develet travaillant chez Bel.
« L’image de la France est un atout, mais il y a du savoir-faire dans d’autres pays aussi. Nous devons aller à la même vitesse que les autres. De l’innovation peut être trouvée sur les circuits, les packagings, les moments de consommation… » Il évoque un autre point, le retour au local qui se multiplie. « Dix pays européens, travaillent sur l’étiquetage de l’origine du lait. »
Quid des fermes familiales ?
Pour Marie-Andrée Luherne, de la FRSEAO, « ces belles stratégies ne doivent pas faire oublier que de nombreux producteurs souffrent et se découragent. Le consommateur plébiscite nos fermes familiales, mais nous n’avons pas de retour de la valeur. Quel modèle voulons-nous demain ? »