La filière française manque de cuir de qualité. Outre leur sensibilisation et leur accompagnement, imaginer un retour économique aux éleveurs est une piste envisagée.
« La qualité de la peau est pour nous un enjeu stratégique », souligne Franck Boelhy, président du Conseil national du cuir (CNC) qui regroupe les 20 fédérations de la filière française (élevage, secteur de la viande, collecte des peaux brutes, tannerie, maroquinerie, chaussure, ganterie…). Porté par les grandes maisons du luxe et la maroquinerie dans son ensemble, le secteur manque aujourd’hui de peaux de qualité. Une tendance liée à la baisse des abattages de veaux passés de 3,5 millions il y a 30 ans à 1,5 million aujourd’hui. Les veaux fournissent en effet les plus beaux cuirs.
20 % des peaux de veaux seulement vers l’industrie du luxe
« La demande est très forte, surtout en peaux de qualité. Et seulement 20 % des peaux de veaux répondent aux critères de l’industrie du luxe, 5 % au super premier choix », chiffre Denis Geissmann, président du Syndicat général des cuirs et peaux. Pour améliorer la qualité, les professionnels mettent en place différentes actions dans les élevages, les bouveries, les abattoirs, les lycées agricoles…
« Le marché des peaux est mondial ; le 1er choix est beaucoup mieux valorisé que les autres. Dans les actions de la filière, nous avons insisté sur le veau car il y a urgence à disposer de peau de 1re qualité. L’interprofession a investi 19 M€ dans des campagnes de sensibilisation et de vaccination. Une initiative qui est aujourd’hui relayée au niveau des intégrateurs de veaux. Désormais, les actions sont élargies au jeune bovin », précise Franck Boelhy.
Mais la répartition de la valorisation des cuirs reste l’inconnu. « Sans l’industrie du lait et de la viande, le cuir n’existerait pas. Sans l’industrie du cuir, la peau ne serait qu’un déchet de plus à traiter et éliminer. Ainsi, la peau valorisée par l’industrie alimentaire entre dans les ajustements complexes de la chaîne de valeur de la filière viande », rappellent les responsables du Conseil national du cuir (CNC).
40 % à l'export
Pas d’incitation économique
« Mais rien ne nous incite économiquement à prendre soin des peaux. J’aimerais qu’il y ait une valorisation. Pourquoi ne pas créer un contrat entre les différents partenaires », déclare Laëtitia Bouvier, éleveuse en Ille-et-Vilaine et responsable veaux à JA Bretagne. « Nous faisons une production de veaux sur paille. Nous vaccinons à l’arrivée, nous traitons les poux. Mais globalement, les éleveurs ne se sentent pas assez concernés, ils ne savent pas que leur cuir a une valeur importante. Il faudrait trouver une solution pour les impliquer encore davantage », pense Anthony Drovon, intégrateur en région Rhône-Alpes.
Responsable des ventes de 5e quartier à la SVA Jean Rozé, Christophe Dehard précise : « Pour le moment, la traçabilité n’est pas en place. Par ailleurs, une grande majorité des peaux ne correspond pas aux exigences de la maroquinerie. Des accords interprofessionnels pourraient certes être mis en place. Mais s’il y a bonification, il faut être conscient qu’il y aura aussi un malus. »
Le bien-être animal, pour le cuir aussi
Comme pour la viande, le bien-être animal et le développement durable sont de plus en plus pris en compte dans la filière cuir. « Les grandes marques de luxe les ont intégrés dans leur stratégie pour répondre aux attentes de leurs clients. Elles souhaitent apporter la garantie que leurs produits ont été réalisés selon les meilleures pratiques. Des contrôles sur toute la chaîne, indépendants, pourraient apporter cette assurance. Certaines marques travaillent sur des produits de substitution, mais peu de matières peuvent remplacer le cuir au pied levé… », termine François Taverne, directeur de la Compagnie des cuirs précieux.
Traçabilité sur la peau avec le laser
Nous devons mettre en place un système de contrôle de la qualité avec une traçabilité des peaux nous permettant de remonter à l’éleveur et pouvoir ainsi l’accompagner. Une technologie laser est actuellement testée sur différents sites et pourrait aboutir d’ici quelques mois. Le numéro de l’animal est gravé sur la peau. Dans les faits, les tanneurs achètent les peaux à de meilleurs prix aux vendeurs quand il y a davantage de bon choix. Mais quel retour y-a-t-il derrière ? Ce n’est plus de notre ressort. La vraie discussion doit avoir lieu dans le milieu interprofessionnel.
Jean-Christophe Müller, PDG des Tanneries Haas, vice- président de la FFTM