Stocks colossaux de poudre, inversion du prix des protéines et de la matière grasse, distributeurs sourds aux revendications et législation illisible empêtrent le monde laitier dans une situation paradoxale. Commentaires de Dominique Chargé, président de la FNCL.
On parle de situation laitière inédite. Êtes-vous d’accord avec ce qualificatif ?
Dominique Chargé, FNCL : Je parlerai même de situation improbable. En 10 ans, la conjoncture s’est totalement renversée. On croyait que l’on n’avait pas de problème avec les protéines et l’on se demandait quoi faire avec la matière grasse. Aujourd’hui, c’est l’inverse. On se retrouve avec des stocks de poudre et une pénurie de matière grasse du fait d’une baisse de production – la France a toujours été importatrice – , d’une réhabilitation du beurre et d’une baisse d’utilisation d’huile de palme.
La rareté fait pourtant le prix…
D. C. : Il faudrait que la plaquette de beurre à 2 € passe à 2,50 €. Il faudrait aussi une hausse de prix sur les fromages dans lesquels on incorpore de plus en plus de matière grasse. Mais nous n’arrivons pas à passer de hausse avec la grande distribution et la restauration hors domicile. En magasin, les prix des marques distributeurs vont bientôt rattraper celles des marques. Et pourtant, pour les négociations de 2018 qui démarrent en octobre, les industriels vont se retrouver sans pouvoir.
Est-ce à dire que la commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) est impuissante ?
D. C. : Elle relève des dysfonctionnements dans les pratiques, elle formule des avis pertinents. Mais ça en reste là. Il faudrait donner plus de pouvoir à la CEPC.
Les promotions permettent de contourner ce « pouvoir »…
D. C. : Un meilleur encadrement du dispositif promotionnel est certainement indispensable. C’est une de nos revendications. On ne peut pas avoir des promotions en permanence. Le consommateur perd la notion de vraie valeur des biens alimentaires. Il convient de limiter les promotions en volume et en durée.
Cela ne règle pas les difficultés de la filière sur le long terme ?
D. C. : Un changement de comportement et une responsabilisation des acteurs sont nécessaires. Par exemple, en mettant en place des chartes, des labels «fournisseur responsable » et des normes sur les achats responsables. Cela existe sur d’autres catégories de produits. Pourquoi pas en alimentaire ? La nourriture est un produit noble, elle mérite bien cela.
La loi de Modernisation de l’économie promettait pourtant de corriger certains biais dans le commerce.
D. C. : Reconnaissons-le : la LME ne fonctionne pas ; elle mérite d’être clarifiée. En créant un déséquilibre entre fournisseurs et GMS, les pouvoirs publics ont donné aux distributeurs la clé de la maîtrise de l’inflation et du pouvoir d’achat. Mais au final, ce système déflationniste a tout appauvri.
Qu’attendez-vous de Bruxelles ?
D. C. : Il y a toujours 350 000 t de poudre en stock et actuellement certains pays profitent de la fenêtre d’intervention pour remettre en stock. Il faudra bien que l’Europe revienne à de meilleurs outils de gestion de la production et de gestion des crises.