Depuis le printemps 2016, Pascal, Stéphane et Franck Bodiguel produisent et commercialisent de la spiruline. À l’origine, c’est pour valoriser l’énergie thermique fournie par la combustion de leur biogaz qu’ils se sont lancés dans la culture de cette micro-algue tropicale aux qualités nutritives très prisées. Aujourd’hui, le pari semble gagné, en atteste ce reportage en Ille et Vilaine.
Sous une vaste serre, une roue à aube agite les eaux verdâtres du bassin. Dans la fine couche recouvrant la surface, un homme plonge une sonde… Scientifique, chercheur de l’Inra ? Vous n’y êtes pas : c’est un éleveur laitier d’Ille-et-Vilaine. Stéphane Bodiguel relève la température des bassins de culture et leur taux de potentiel hydrogène (pH). Quant à la crème verdâtre en surface, c’est de la spiruline : une cyanobactérie aux vertus reconnues et bienfaisantes pour l’organisme. Utilisée comme complément alimentaire, sa consommation est en constante progression, offrant ainsi une intéressante voie de diversification. Mais attention, la culture de cette micro algue ne s’improvise pas ! L’activité engendrée doit pouvoir s’intégrer à la logique économique de l’exploitation. Le Gaec du Cormier en offre une belle illustration.
Valoriser chaleur et savoir-faire !
Pour comprendre comment et pourquoi Stéphane, Pascal et Franck Bodiguel se sont lancés dans cette culture, il faut remonter à la crise laitière de 2009. Comme nombre d’éleveurs, ils s’interrogent alors sur la stratégie à suivre pour limiter leur dépendance à la fluctuation des cours. Parmi les options possibles, Stéphane s’intéresse à la méthanisation qui permettrait de diversifier et de consolider les revenus. « On avait l’avantage de pouvoir disposer d’un apport régulier de déchets agro-végétaux provenant d’une entreprise de Redon, indique t-il, de quoi assurer le mix de matières végétales et animales qui alimente le digesteur ».
[caption id= »attachment_29824″ align= »aligncenter » width= »720″] Après avoir été passée dans une machine, de type poussoir à viande (qui lui donne cet aspect filandreux), la spiruline est disposée sur des chariots à claies et placée dans une salle de séchage. Elle est chauffée, comme les bassins de culture, par l’énergie thermique issue de la combustion du biogaz.[/caption]
Voilà pour les matières organiques, mais d’autres contraintes conditionnent le financement du projet… « Jusqu’à présent, ajoute Stéphane, la rémunération du kWh dépendait de l’utilisation de l’énergie thermique fournie par le moteur qui brûle le biogaz. Il fallait que 70 % de l’énergie restante, après avoir chauffé le digesteur, soit valorisée par l’exploitation… On ne voulait pas s’agrandir et créer un élevage hors-sol (volaille ou porc). C’est un bureau d’études que nous avions sollicité qui nous a parlé de la spiruline, de ses perspectives de développement et du chauffage des bassins que sa culture exigeait ».
Franck Bodiguel travaille alors comme responsable de maintenance chez Faurecia, équipementier automobile à Redon. Sentant l’entreprise en difficulté, il réfléchit à intégrer le Gaec. Ses compétences techniques seraient précieuses : autant pour assurer la mise en œuvre du projet spiruline que la maintenance du système biogaz. Il se décide à quitter son poste et rejoint ses frères… La banque donne son feu vert, le projet est sur les rails. En 2014, le méthaniseur entre en service et les premiers sachets de spiruline sont commercialisés en 2016.
Une culture exigeante
« Mais un tel projet ne peut se limiter à cultiver de la spiruline pour pouvoir revendre au prix fort ses kWh à ERDF », souligne Sidonie Lameyre, assistante à la Fédération des Spiruliniers de France. Un discours auquel souscrivent volontiers les frères Bodiguel, eux-mêmes membres de la fédération. « La spiruline de nos adhérents est un produit de haute qualité, poursuit-elle, élaborée à partir de souche naturelle, sans OGM. Poussant sous serre à l’abri de la pollution aérienne, elle est égouttée, pressée puis séchée à basse température, sans atomisation, ni irradiation ». Pour pouvoir respecter ces recommandations, Stéphane puis Franck se sont formés à la culture de la micro algue au CFPPA de Hyères (Var). Une formation qu’ils complètent régulièrement au sein de la Fédération. Cette dernière investit 10 % de son budget annuel dans la recherche.
Développer les produits dérivés
Franck a travaillé tout l’hiver dernier pour automatiser la récolte de la micro algue. « Il a fait fabriquer une caisse métallique, explique Stéphane, qu’on plonge dans le bassin au ras de l’eau pour récupérer la « crème » en surface. Ensuite, on la pompe dans une récolteuse et on la filtre, tandis que l’eau est renvoyée au bassin de culture ». Désormais, le processus de récolte, allant jusqu’à la mise en sachet, semble bien maîtrisé. Mais, si l’on y ajoute la maintenance de la méthanisation, cela occupe Franck à plein temps. Voilà pourquoi un second salarié vient d’être recruté au sein du Gaec pour continuer à développer la commercialisation de la spiruline (notamment sur Internet et sur les marchés) et pour réfléchir à l’élaboration d’une gamme de produits dérivés.
Contact : GAEC du Cormier, à Sixt-sur-Aff (35), 06 14 48 58 92. www.spiruline-broceliande.fr
Gaec du Cormier
Les productions :
• Lait, 580 000 L : 65 vaches,
• Vaches allaitantes : 60 vaches,
• Élevage taurillons. Cultures : 180 hectares de pâtures et de céréales
Méthanisation (depuis 2014) – Puissance installée :
• Puissance électrique : 250 kw (revente à ERDF)
• Puissance thermique : 260 kw (chauffage de trois maisons et de 1 000 m² de bassins – spiruline).
Spiruline (cyanobactérie) : Récoltée depuis 2016. 1 000 m² de bassins couverts. Production : 10 g / m²/ jour (de mars à novembre). Investissement : 250 000 €.
Répartition des tâches :
• Pascal : cultures et alimentation des bovins.
• Stéphane : approvisionnement du digesteur et gestion administrative.
• Franck : production spiruline et maintenance méthanisation.
• 1er salarié : traite et production laitière.
• 2e salariée : recrutée en juin 2017 pour développer les produits dérivés de la spiruline.
Pierre-Yves Jouyaux
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