Un voisin dit l’avoir aperçu une fois sur son tracteur. De loin. De si loin qu’il est bien incapable d’en faire la moindre description. D’ailleurs était-ce bien lui ? Rien n’est moins sûr. Peut-être était-ce tout simplement un de ses salariés qui labourait la grande parcelle. Mais a-t-il seulement des salariés, s’est interrogé un autre voisin mêlé à la conversation. Personne ne le sait. Personne ne l’a jamais vu. Personne ne lui a jamais parlé.
Voilà trois ans que la ferme de Coat-Traon a été reprise par un gars de « vers là » comme disent les locaux en montrant vaguement une direction indiquant le nord. « Et si ce n’était pas un agriculteur breton de « vers là » mais un Chinois « de là-dessous », commence à spéculer le village en balayant l’horizon du nord au sud avec son index. « Possible, parce que pour acheter 150 ha au prix où il a payé, il faut en avoir sous le matelas », commente d’un rire moqueur Louise Targossec qui sait tout sur tout, et surtout, rien sur tout. « Ah bon, mais combien qu’il a payé alors ? Tu sais toi ? », l’empresse de préciser Jacques, son voisin. « Je ne sais pas trop mais j’ai entendu dire que c’était cher ». « T’en sais rien et en plus ça ne nous dit pas qui c’est ! », lui rétorque-t-il.
Et c’est bien cette énigme qui taraude toute la tribu villageoise qui voudrait seulement savoir quel est cet agriculteur qui, souvent à la nuit tombante, débarque avec une horde de tracteurs et de machines, récolte une cinquantaine d’hectares de maïs grain d’une seule traite et embarque tout dans de gros caissons. « Il suffit d’aller sur Internet », lâche un jeune gars qui s’invite dans le conciliabule. Et de lâcher en s’éloignant : « Vous pourrez peut-être lui demander d’être votre ami ». Virtuel, cela s’entend…