Le vieux pieu

Debout. Toujours debout. Et bien droit après tant d’années d’inutilité. Ce poteau en châtaignier se dresse dans cette prairie humide comme un dernier vestige d’un temps qui fut ; d’un temps qui ne sera plus. Témoin silencieux d’un temps perdu. Les vaches sont parties, le paysan s’est éteint, la friche a prospéré. Bientôt le jonc et les ronces s’effaceront à leur tour sous l’ombrage des saules et des bouleaux. Puis, dans 20 ans, dans 30 ans, ces arbres colons s’étioleront sous la frondaison de chênes conquérants. Ainsi va la vie : naissance, croissance, apogée et sénescence.

Aucun être vivant, aucun élément, aucune culture, aucune civilisation, n’échappe à ce cycle de vie qui construit et déconstruit. Alors pourquoi ce pieu échapperait-il à la décrépitude ? Viendra son heure où il s’effritera, s’effondrera. Pour l’heure, il est toujours là. Debout. Sans bouger depuis que la lourde masse l’a enfoncé jusqu’au mollet. En son sommet, un isolateur de porcelaine fixé par une frêle pointe rouillée rappelle qu’il fut gardien de troupeau. Grand serviteur de l’élevage. Aurait-il envie de voyager après cette longue vie pieuse ? Son silence vaut peut-être invitation… Une photographie envoyée dans le cloud pourrait lui valoir une immortalité céleste. Ou préférerait-il languir dans un musée rural ?

L’artiste qui flânait par là en décida autrement. L’antique poteau de clôture vibrerait bientôt pour une renaissance dans une exposition d’art contemporain. Le public urbain s’extasierait devant le « Vieux pieu » muté en œuvre artistique à la valeur inestimable.


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