Les médecins le chuchotent pour ne pas réveiller la perplexité : « Ne pas dormir tue ». Le manque de sommeil grillerait la vie à petit feu. À l’époque où l’on voudrait que l’on soit tout-feu-tout-flamme du matin au soir, le paysan a décidé de faire sienne l’ordonnance de la sieste.
Dans son hangar, sur un big-baller sentant bon le foin de l’été, il s’est assis. Puis s’est laissé basculer en arrière solidement appuyé sur ses coudes comme pour soutenir un dernier acte de résistance. Ses jambes flottant dans le vide, il s’est enfin étendu sur le dos ; s’offrant pour seul horizon la face inférieure de la toiture du hangar battue dru par l’averse. Morphée s’est doucement invitée à ses côtés. Dans ses yeux perdus dans le vide, les ondulations des fibros ont commencé à ondoyer telles des vagues. Puis se sont évanouies. Le paysan a lâché prise…
Dans son rêve, tel Icare s’approchant dangereusement du soleil au risque de se brûler les ailes, il s’est mis à survoler en amples voltiges un grand feu autour duquel se reposaient tels des empereurs romains d’autres paysans apaisés de voir une montagne de papier se consumer. Des UF et des PDI, des ratios de trésorerie et de solvabilité, des recommandations de conseillers, des déclarations administratives, montaient dans les airs en flammèches avant de retomber en cendres incandescentes. Un vrai feu de joie fêtant la fin des papiers tracassiers. « Être agriculteur, c’est être libre », rêvait-il.
Quand soudain dans la légèreté d’un songe endormi retentit une stridente sonnerie. Maudit soit ce portable insupportable.