Anne-Laure Jaouën fabrique des selles sur-mesure, pour le bonheur des chevaux et des cavaliers.
Anne-Laure Jaouën fait partie de ces gens qui osent. Oser changer d’activité professionnelle, une idée qui rend frileux. Mais pas la jeune femme : graphiste de métier, elle met son talent au service d’une entreprise de communication bretonne, pendant 8 ans. Puis, l’envie de bouger, de revenir à sa passion de dessinatrice, l’a conduite à se former au métier de sellier. Après deux stages effectués au prestigieux Haras National du Pin (61) et 10 mois de préparation au diplôme, elle sort le CAP en poche. C’est alors le début d’une reconversion professionnelle car c’est décidé, elle s’installera à Plérin (22) dans un atelier de bourrellerie.
Bourrelier à la campagne, sellier en ville
Les nombreux chevaux de trait présents dans les campagnes trouvaient jadis des mains expertes pour réparer l’équipement nécessaire à la traction des outils. « Le bourrelier était un métier très commun, tout comme les charrons. Ces métiers ont totalement disparu dans les années 70, l’équitation s’est orientée vers du loisir et/ou des pratiques sportives ». Ces bourreliers, campagnards, pour réparer les accessoires nécessaires au labour, étaient l’équivalent des « selliers en ville ».
La raréfaction de ce corps de métier a demandé à Anne-Laure Jaouën de faire preuve d’ingéniosité pour trouver les nombreux petits outils obligatoires pour exercer son activité. « J’ai trouvé cet abat-carre chez un antiquaire », sourit-elle. D’autres machines plus imposantes, comme celle utilisée pour le marquage du cuir, « délivre une pression de 25 t/cm2. Le marquage peut aussi se faire à chaud ».
Peau de belle vache
La jeune artisane se fournit quasi exclusivement de cuir français, bien souvent « en provenance de tanneries du Limousin. La France produit de très beaux cuirs, mais difficiles à trouver ». Des cuirs 1er choix passent entre les mains habiles, les peaux abîmées par la teigne ou les parties flancheuses, situées près des pattes des bovins, sont écartées, car « elles n’ont pas assez de force ». L’ancienne région Limousin a conclu des engagements entre « la Région, les éleveurs et les tanneries, afin d’exclure les barbelés des clôtures, d’être vigilant lors du transport des bovins pour éviter qu’ils ne se blessent ».
Selles à la mesure du cheval et du cavalier
La fabrication des selles proposée par l’atelier est réalisée sur-mesure. Pour ce faire, la sellière se rend chez ses clients, exclusivement en région Bretagne. « Un 1er rendez-vous sert à la prise de mesures, comme la longueur du dos, la hauteur et la taille du garrot. L’objectif de la selle est de protéger le cheval du garrot à la 18e vertèbre dorsale. Je regarde ensuite comment l’animal se déplace ». Le cavalier est lui aussi mesuré presque sous toutes ses coutures, afin d’ajuster « la taille du siège, la hauteur des quartiers, qui sont dessinés en fonction de la position de la jambe. Les taquets sont fabriqués sur-mesure. Personne ne monte de la même façon, nous avons tous des défauts. Tous ne peuvent pas être corrigés ».
Enfin, la pratique de l’équitation fait l’objet d’un questionnaire poussé. Obstacle ? Dressage ? Selle en amazone ? Tout y passe, y compris la durée quotidienne de monte. Une fiche technique est ensuite envoyée à l’arçonnier. « L’arçon est revu avec le cavalier et le cheval, avant la livraison finale ». Confortable et résistante, la selle est revêtue de cuir épais et solide, car fortement sollicitée par la pratique de l’équitation.
Mélanger l’artistique et le manuel
La création reste le cheval de bataille de la Costarmoricaine. Si des réparations de selles, de brides ou de licols sont parfois réalisées, c’est dans la production que son talent s’exprime totalement. « J’aime ce mélange du côté artistique et manuel ». Anne-Laure Jaouën réussit à seller tout type de chevaux. « Les clients viennent me voir pour des demandes particulières, car ils n’arrivent pas à trouver le matériel qui convient, avec des selles qui peuvent parfois blesser ». Si la réparation n’est pas l’activité principale de l’entreprise, la sellière a tout de même remis en état un modèle de 1865, « en gardant l’arçon d’origine ».
Avec maîtrise et patience, la couture vient terminer les créations de cuir. Réalisé avec 2 aiguilles fixées sur l’extrémité d’un même fil « le point sellier est le plus solide », explique Anne-Laure Jaouën. La rapidité des gestes lui permet de réaliser un mètre par heure de couture. Au final, entre les prises de mesures, la création du gabarit et la livraison du produit final, la selle aura demandé une cinquantaine d’heures de travail.
Si les créations aboutissent à du matériel appartenant au monde équin, de la maroquinerie est aussi proposée à la clientèle. Sacs, pochettes, ceintures, bracelets… « Je dessine des modèles suivant ce que j’entends ». Travailler des matières de première qualité avec des gestes ancestraux : une pratique qui se perd au fil du temps. Pas à l’atelier Jaouën.