Terrena a annoncé ne plus pouvoir soutenir financièrement Doux au 31 mars. Seul MHP, leader de la volaille en Ukraine, a fait une proposition de reprise. Éleveurs et salariés, inquiets, attendent de connaître le projet.
Si la situation de l’entreprise Doux fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, les interlocuteurs qui acceptent de s’exprimer sur le sujet se font rares, surtout du côté de la direction de Doux et de son actionnaire majoritaire Terrena. Ces derniers, ayant fixé comme date butoir le 31 mars, date à partir de laquelle ils ne pourront plus soutenir la trésorerie de Doux. Les pertes sont de l’ordre de 35 millions d’euros pour 2017. Le comité central d’entreprise qui se déroulera le 23 mars dévoilera peut-être ce que sera l’avenir du volailler breton.
Un arrêt progressif du poulet export
« Nous sommes en position d’attente pour savoir quel va être l’avenir des éleveurs et des salariés de Doux. Les négociations se passent entre Terrena, MHP l’éventuel repreneur ukrainien, la Région et l’État par le Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle) », témoigne Marc Cornec, président du groupement des éleveurs Doux. Les éleveurs sont très inquiets et aucun d’eux ne souhaite s’exprimer. « Il y a 6 ans, nous avons déjà vécu cette situation avec le redressement de Doux avant une reprise par l’homme d’affaires Didier Calmels qui cédait ses parts au groupe Terrena 18 mois plus tard. À cette époque, les éleveurs y ont laissé des plumes », déplore Marc Cornec. Les négociations avec l’industriel ukrainien seraient déjà bien avancées. Il s’orienterait vers un licenciement d’environ 550 salariés sur les 1 200 employés restant chez Doux.
Le site de Chantonnay en Vendée cesserait son activité, une majeure partie de la centaine d’éleveurs vendéens basculerait vers du poulet pour le marché du frais avec Terrena (Galliance). Des investissements à hauteur de 150 millions d’euros seraient réalisés notamment à Châteaulin (29) pour un arrêt progressif du poulet export et une orientation vers de la volaille destinée au marché du frais. « Pour réaliser ces investissements, MHP solliciterait 70 millions d’euros de subventions publiques. Afin d’éviter de payer l’amende de 84 millions d’euros réclamée par FranceAgriMer pour le compte de l’Union européenne, un dépôt de bilan de Doux est à craindre avant une éventuelle reprise par MHP », explique le président du groupement d’éleveurs Doux. Certaines rumeurs circulent tout de même sur l’intérêt d’un intervenant de poids de la filière française qui entrerait à la table des négociations. Mais vu les avancées avec l’Ukrainien, il est peut-être déjà trop tard.
Un arrêt total de Doux déséquilibrerait complètement la filière avicole française.
« Un arrêt total de Doux déséquilibrerait complétement la filière avicole française », lance André Quenet, de la FDSEA du Finistère. « Ce qui intéresse avant tout MHP, c’est la marque Doux qui est reconnue dans les pays du Moyen-Orient. Ils vont produire le poulet export chez eux car ils sont très compétitifs. Leurs coûts de production sont au niveau de celui des Brésiliens et ils pourraient même très bientôt passer en dessous », analyse Pierre Lec’hvien, aviculteur et représentant de la Coordination rurale Bretagne. Reste à savoir quel est le projet exact de ce géant de la volaille ukrainien pour les éleveurs et les salariés de chez Doux. « Ils demandent une aide de 70 millions d’euros de l’État afin de les soutenir pour investir et réorienter l’outil vers du poulet plus lourd et de la découpe. Mais personne ne croit trop à ce projet », déclare Pierre Lec’hvien.
« Si l’État aide cette reprise, nous souhaitons qu’il y ait un vrai projet d’avenir », poursuit Denis Cohan, ancien éleveur Doux et membre de la Confédération paysanne. Aujourd’hui tout le monde semble s’accorder sur le fait que le poulet export ne peut plus être produit en France par manque de compétitivité. Le prix du marché suffit aux Brésiliens pour générer des profits alors qu’en France cela engendre des pertes. « Nous devons nous orienter vers de la volaille qui correspond aux attentes des consommateurs français. Nous devons basculer sur des souches plus rustiques, diminuer en densité, apporter de l’éclairage naturel… », propose Pierre Lec’hvien. Et de conclure : « Dans ce dossier Doux, j’aurais aimé que la Région réunisse tous les intervenants de la filière avicole bretonne pour étudier une reprise en créant une seule et unique structure coopérative. »
Les éleveurs inquiets
Qui est le repreneur ukrainien ?
La production de volailles en Ukraine est de 1,2 million de tonnes par an. La filière avicole y est très compétitive grâce à l’accès aux aliments facilité par la production des grandes plaines céréalières du pays. La main-d’œuvre est très bon marché et ils ont peu voire pas du tout de législation et de contraintes environnementales. L’Ukraine exporte 20 % de sa production de volailles soit 240 000 tonnes. MHP est l’entreprise leader du pays en production de volailles. À elle seule, MHP représente 50 % de la production dans le pays avec 332 millions de poulets élevés par an. MHP possède la plus grande ferme de volaille d’Europe.
Cette ferme est nommée Vinnystia, elle est composée de 12 sites avec 38 poulaillers sur chacun d’eux, soit un total de 18 millions de poulets élevés en même temps. Les poulaillers, le matériel, les champs pour produire les céréales, tout appartient au groupe ukrainien. Ils ne dépendent de personne et d’aucun approvisionnement extérieur. L’entreprise affiche un chiffre d’affaires annuel de 1,2 milliard d’euros et totalise 27 000 employés.
Préserver l’emploi en Bretagne
[caption id= »attachment_33664″ align= »alignright » width= »176″] Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne. © Emmanuel Pain – Region Bretagne[/caption]
La Région est très concernée par le dossier Doux et nous sommes en lien permanent avec l’ensemble des acteurs de ce dossier. C’est une entreprise importante qui, avec ses éleveurs, a écrit une part de l’histoire industrielle bretonne et nous ne pouvons nous désintéresser de ce dossier. La ligne qui guide la Région est claire : d’abord la préservation de l’emploi en Bretagne, en Finistère ; donc je suis très attentif à la situation des salariés, des éleveurs, des sous-traitants. Ensuite la structuration de la filière avicole française car, au-delà du sujet du modèle du poulet export, la volaille consommée en France est encore pour près de la moitié des volumes issus d’élevages lointains, ce qui ne correspond plus à la demande des consommateurs. Enfin l’intervention de la région Bretagne au côté de l’éventuel repreneur est nécessairement envisagée en tenant compte de ces deux priorités et de la solidité du modèle économique du projet. Encore une fois les transitions impactent la Bretagne, mais nous connaissons aujourd’hui nos atouts pour répondre aux modèles de demain, qui reposent grandement sur la qualité et la performance de nos éleveurs.
Loïg Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne.