Le 5 mars 1966 : Fin d’hiver et faim d’azote

Dans les archives de Paysan Breton :

Depuis plus de quarante ans, on n’avait pas enregistré d’écarts climatologiques comparables à ceux du dernier automne et de l’hiver qui suit. Ce genre de records, prisé d’un public amateur de sensations, risque d’être préjudiciable aux cultures et constitue, de ce fait, une source de préoccupations pour l’exploitant.

La longue période de pluies automnales a eu de telles conséquences que l’on a dû, en diverses circonstances, demander le concours de la troupe. Mais d’autres conséquences, moins spectaculaires dans l’immédiat, risquent de présenter à terme une importance déterminante. La température douce, qui s’est prolongée fort avant en saison, a favorisé l’activité microbienne et, par conséquent, la transformation des réserves azotées du sol en la forme nitrique, directement assimilable. Et le grain en a largement profité pour s’établir en terre.

Malheureusement, la mobilité même de cet azote l’expose, en raison des chutes répétées de pluie, à se trouver dans une zone du sol que les jeunes racines, encore insuffisamment développées, n’ont pas la possibilité d’explorer. Sans doute la solution nutritive du sol est susceptible de remonter grâce à l’évapo-transpiration du sol et des plantes, mais la part importante de ce phénomène, due à l’évoporation foliaire, ne peut être envisagée tant que les jeunes céréales n’auront pas atteint un développpement suffisant.

Puis le froid est venu, arrêtant toute activité, aussi bien celle du blé, entré en repos physiologique, que celle du sol qui préparait l’azote nécessaire à la reprise de printemps. Et il faut se demander maintenant comment seront couverts les besoins prochains de la plante losqu’elle reprendra sa croissance avec l’intensité que l’on sait. Ces besoins seront d’autant plus importants qu’il sera nécessaire, le cas échéant, de compenser l’action du gel sur les emblavures elles-mêmes. Sans parler des semis complètement détruits, il faudra provoquer un tallage intensif de ceux qui n’auront plus que 80 à 100 pieds au mètre carré. Et pour les autres, qui auront traversé sans grand dommage, grâce à leur robustesse, cette période critique des grands froids, leurs exigences seront à la mesure même de leur bon état de santé.

Le déséquilibre entre les besoins en azote des jeunes blés et ce que peut leur offrir le sol est donc spécialement préoccupant en ce début de printemps 1966. L’usage classique d’un épandage à la sortie de l’hiver prend, de ce fait, une importance déterminante et, pour toutes les raisons exprimées plus haut, la nécessité de fournir rapidement un azote directement assimilable conduit à l’emploi du nitrate. Un épandage précoce de 200 à 300 kilos/ha (peut-être en deux fois, s’il a été spécialement précoce) permettra d’éviter ce jaunissement, qui traduit un état de misère physiologique, la fameuse «faim d’azote», qui handicape définitivement les rendements. Bien entendu, cette dose-type doit être adaptée aux circonstances et, en particulier :
• à la nature du sol, étant entendu qu’en terre légère ou à mauvaise nitrification, il est possible de l’augmenter d’environ un tiers ;
• au type de la variété cultivée, étant entendu que les blés à fort tallage (Capelle, Aisne, Marne…) peuvent se contenter d’une dose diminuée d’environ un tiers.

Depuis l’époque du «filet de nitrate», ce type d’hiver a bien été celui auquel convient le Nitrate du Chili, et il est superflu de rappeler aujourd’hui qu’il concourt au bon état des blés, non seulement par son azote nitrique et son sodium, mais aussi par les nombreux oligo-éléments qu’il doit à son origine naturelle.

C. Devineau / Ingénieur agricole


Tags :
Fermer l'écran superposé de recherche

Rechercher un article