David Maurice a fait partie de la première promotion de la formation « De l’idée… au projet ! » proposée depuis quelques années par le collectif Paysans 22. Aujourd’hui agriculteur, il revient sur l’intérêt de suivre cette session dans un parcours de futur installé.
Actuellement, l’exploitation compte 63 ha, 280 brebis et 20 génisses engraissées à l’herbe par an. Trois ans après l’installation, comment se sent-on dans ce costume de jeune éleveur ?
David Maurice : J’aime ce que je fais. Mais j’avoue que le quotidien est dur et fatigant. Même si peu à peu, économiquement, la situation s’améliore, le travail accapare toujours 80 heures par semaine. Physiquement, ça tire. Il y a sans cesse des choses à améliorer. Par exemple, l’été dernier, j’ai refait la cour de la ferme pour remplacer le bourbier qui me faisait perdre du temps l’hiver. L’installation d’un ballon d’eau chaude dans la bergerie et la réfection des réseaux d’eau et d’électricité m’ont facilité la tâche. Je mets en place des clôtures permanentes en ce moment qui m’apporteront davantage de sérénité quand les animaux sont dehors… Ce sera probablement difficile encore deux ans. Mais tout le travail effectué aujourd’hui permettra d’être plus efficace et organisé. Il paiera plus tard. Quand j’aurais trouvé mon équilibre, il y aura aussi moins de stress moral.
En quoi « De l’idée… au projet ! » a été utile pour appréhender cette période complexe du démarrage ?
D. M. : Pour moi, on n’est jamais assez préparé à l’installation. Prendre 10 jours, au cours de son parcours de futurs installés, pour visiter, se former et échanger au contact d’autres porteurs de projets est très positif. L’émulation de groupe oblige à s’ouvrir. Et puis, la formation s’est améliorée au fil du temps pour laisser de plus en plus place à des temps passés sur des structures agricoles. J’ai reçu récemment la dernière promotion sur mon élevage. Les candidats sont restés toute la journée ici à échanger avec moi mais aussi à travailler ensemble.
Pour ma part, un des rendez-vous m’avait marqué à l’époque : la rencontre avec Terre de Liens que je ne connaissais pas. J’ai découvert qu’il existait différentes possibilités pour structurer du foncier. Cette idée, je l’ai utilisée ensuite à ma sauce puisque deux investisseurs ont acheté une partie des surfaces que je travaille aujourd’hui. Cela m’a évité de porter seul un trop lourd investissement concernant les terres. Je me rappelle aussi d’un maraîcher qui nous avait alertés sur les charges de travail, les heures à passer. Il disait qu’au début « c’est normal d’être débordé, de ne pas voir le bout », mais qu’il faut toujours garder le cap et persévérer. En phase de projet, j’étais tout neuf, j’ai entendu son propos sans trop y faire attention. Aujourd’hui, avec le recul, je me le remémore et ça me fait du bien, ça m’aide à tenir le coup en étant tourné vers l’avenir.
Cette formation est-elle réservée à des projets dits « alternatifs » ou de « diversification » ?
D. M. : Moi, j’ai préparé un projet d’installation somme toute classique : un système de production plutôt intensif d’ovins viande en filière longue conventionnelle. À mes yeux, c’est enrichissant que différents profils constituent le groupe. Nous nous sommes enrichis mutuellement en confrontant nos approches : on se mettait à la place des uns et des autres pour décortiquer les projets. Les personnes qui portaient des projets diversifiés m’ont ouvert des perspectives. Ceux en reconversion professionnelle avec des contraintes familiales offraient également une autre vision des choses. De mon côté, venant du milieu, j’apportais un côté « réalité du terrain » aux autres. Il y a une dimension agricole, une culture à cerner. Les personnes venant de l’extérieur n’ont pas forcément toujours toutes ces clés, ni accès au foncier. Tous les échanges étaient positifs pour chacun à son échelle.
Ces dernières années, le contexte agricole s’est beaucoup durci dans la plupart des filières. Avoir fait un bout de chemin avec des futurs agriculteurs aux orientations différentes, des gens avec des idées différentes, aide à retirer ses œillères. Leur intérêt pour des niches peut paraître spécifique mais doit surtout laisser à penser qu’il y a autre chose à faire, à inventer. Une carrière est longue et les marchés se retournent ou se ferment vite, avoir l’esprit ouvert est une manière de se préparer à évoluer à tout moment.