Telle une armée de crosses d’évêques plantées en terre, les fougères se déploient en écheveau dès les premières chaleurs de printemps. Mai est le mois de leur renaissance. Mai est le mois de la fronde des fougères. Aucune allusion à l’éphémère mai 68. Cela fait 400 millions d’années que les fougères font leur mai sur Terre. Sans la moindre revendication, mais selon l’ordre naturel d’un processus biologique immuable qui pousse les rhizomes de la pionnière des plantes terrestres à élever chaque année ses frondes vers la lumière.
Car, rappelons-le, la fougère n’a pas de feuilles mais des frondes. Tel est le terme qu’ont donné les botanistes aux expansions aériennes de cette plante plus vieille que les dinosaures. Frondescente oui, mais frondeuse, la fougère ne l’est donc pas. Quoique… Le paysan et le jardinier en veulent parfois à sa fouge rampante qui la rend invasive. Aux fougeroles, la faux est promise ! Les connaisseurs savent en effet qu’une première fauche fin juin et une seconde à la fin juillet condamnent l’envahisseuse au repli par épuisement.
Point d’inconscience cependant à vouloir « danser sur la fougère » coupée. Car chacun sait que la section en biais d’une fougère est arme de douleur au va-nu-pieds qui s’aventure sur les biseaux acérés de la fougeraie décimée. Et dont chaque tige tranchée cache en son cœur une double tête d’aigle qui lui vaut ce nom de « fougère aigle ». En 1400, le Saint-Empire romain germanique fit figurer sur ses armes cet aigle bicéphale, emblème de force. La légende de la ville d’Ys ne rapporte-t-elle pas aussi que Gradlon tirait sa prodigieuse force de la fougère ?