Les bons comptes font le bon bio

Les acteurs historiques de la bio pointent du doigt l’arrivée de gros sites avec des bâtiments de 24 000 poules d’un seul tenant, le manque de lien au sol et surtout le risque de surproduction.

« Actuellement, nous constatons une grosse demande en œufs bio ce qui est très positif. Par contre, le problème est de développer la production de façon cohérente en respectant les valeurs fondamentales de l’agriculture biologique et notamment le lien au sol », déclare Niels Bize, chargé de mission filières animales bio à la fédération régionale des agrobiologistes de Bretagne (Frab). Le développement de la production d’œufs bio va plus vite que le développement des cultures de céréales bio nécessaires pour la fabrication de l’aliment destiné à nourrir ces pondeuses. « La période de conversion des terres destinées au parcours et plein air des pondeuses bio est de un an et peut être réduite à 6 mois selon les antécédents de la parcelle (si aucun produit interdit en bio n’a été utilisé lors de l’année précédente). Par contre, le temps de conversion est de deux ans pour les terres cultivées en céréales », précise Gildas Le Bars, éleveur de pondeuses bio à Plouisy (22) et administrateur de la Frab.

Une enquête réalisée par la Fnab (fédération nationale d’agriculture biologique) révèle que plus de 60 % des élevages de poules pondeuses bio sont dans l’incapacité de produire un minimum de 20 % des aliments destinés à nourrir leurs volailles. Ce qui pose problème concernant le lien au sol alimentaire.

Des sites de 24 000 poules bio

En 2009, le passage d’une réglementation bio nationale à européenne a fait évoluer beaucoup de choses. « Par exemple, chaque bâtiment ne peut pas excéder les 3 000 pondeuses maximum. Cependant, le terme de bâtiment n’est pas défini dans le règlement européen, ce qui permet d’arriver à des effectifs de 12 000 pondeuses dans un même poulailler en créant des lots de 3 000 poules », déplore Niels Bize. De son côté, Gildas Le Bars rappelle qu’en Label Rouge le cahier des charges exige de ne pas dépasser 6 000 pondeuses par poulailler et 12 000 par exploitation.

« Le bio n’est pas crédible lorsque son cahier des charges est moins-disant que celui du Label Rouge. » Il ajoute : « En France, nous trouvons déjà des poulaillers de 24 000 pondeuses. En fait, ce sont deux bâtiments qui sont seulement séparés par un magasin ou centre de conditionnement central. » À raison de 4 m2 par poule, il faut 9,6 ha de parcours pour un poulailler de 24 000 pondeuses. « Dans la meilleure configuration, la limite du parcours se trouve à 150 m des trappes de sortie des animaux. Comme il n’y a pas d’obligation d’aménager le parcours, autant dire que les poules n’occuperont jamais la totalité de celui-ci, ni même la moitié. »

La Fnab défend une limite à 12 000 pondeuses bio par exploitation avec un maximum de 6 000 poules par bâtiment devant être séparées physiquement. « Il faut des règles fixant un seuil d’autonomie alimentaire et permettant une réelle occupation du parcours. Des règles garantes des fondements de la bio. Le problème n’est pas la taille de l’élevage, ni même l’effectif du cheptel, mais bien la cohérence globale de ce type de projets et l’image qu’ils renvoient aux consommateurs. Sans parler de la destabilisation du marché et du risque répercuté sur les producteurs en places (prix, volumes…) ».

Des pouloducs qui ne seront jamais empruntés

L’agriculture biologique est aujourd’hui en plein essor. L’effectif de pondeuses bio en France est estimé à 5 millions pour l’année 2017, soit 10 % de notre production. « Cela augure pour les éleveurs des opportunités mais aussi des menaces avec le spectre de surproduction qui se profile notamment en pondeuses bio avec une offre produit qui va peut-être un peu trop vite », estime Denis Paturel, secrétaire d’IBB (Initiative bio Bretagne). Il poursuit : « Attention à ne pas développer nos productions bio sur le cahier des charges européen qui pourrait ne plus être en adéquation avec la demande du consommateur. » Il prend comme exemple l’image que le consommateur a en tête sur l’élevage de pondeuses en plein-air.

Il imagine encore des élevages de 6 000 poules, alors que des bâtiments de 40 000 poules en volières se développent à grande vitesse. Un élevage de cette taille nécessite un parcours de 16 ha, ce qui oblige l’éleveur à créer des « pouloducs » sous les routes pour atteindre cette surface réglementaire. Des « pouloducs » qui ne seront jamais empruntés par les poules. « Il est évident que la production doit se développer et s’adapter pour répondre à la demande du consommateur. Mais nous devons faire très attention à ce que nous faisons et aux modèles que nous mettons en place en gardant toujours à l’esprit que nos exploitations doivent être visitables », conclut Denis Paturel.

[caption id= »attachment_34912″ align= »alignright » width= »150″]Philippe-André Richard,  dirigeant de Lann Bodiguen Philippe-André Richard, dirigeant de Lann Bodiguen[/caption]

Se démarquer des autres

Nous produisons des œufs bio depuis 1986 et travaillons en contrat de reprise des œufs avec 12 producteurs bretons. Nous exigeons que la ferme soit 100 % en bio, le lien au sol est primordial avec un minimum de 20 % de l’alimentation des pondeuses cultivée sur l’exploitation. On n’imagine pas un éleveur produire du lait avec 100 % des fourrages venant de l’extérieur. L’élevage ne doit pas dépasser 6 000 poules par bâtiment et 12 000 pondeuses en totalité. L’aliment doit être fabriqué avec 100 % de céréales françaises. Nous proposons aux éleveurs un contrat de reprise avec un engagement sur la durée du lot ce qui permet d’éviter des vides sanitaires longs qui ne sont pas compatibles avec de gros investissements. Face au risque de surproduction en œufs bio nous défendons une ligne de conduite qui nous permettra de nous démarquer des autres demain. Philippe-André Richard, dirigeant de Lann Bodiguen


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