C’est par le laboratoire d’analyses cidricoles de Plérin que passe la majorité des cidres fermiers et artisanaux de Bretagne, Pays-de-la-Loire et de Mayenne. En fonction depuis 2012, Mathieu Havard, œnologue cidricole, explique le double rôle que joue ce laboratoire au service d’une boisson bien plus subtile qu’en apparence.
Ce matin, Mathieu Havard a rendez-vous avec Jean-Marie Gouret, l’un des cidriers bretons faisant régulièrement appel à ses services. L’occasion pour l’œnologue cidricole de nous dévoiler les coulisses d’un métier pour le moins atypique : « Mon activité se partage en deux temps bien distincts ».
L’assemblage à la cave
« D’abord, je me rends chez le producteur pour goûter ses cuvées. C’est la partie organoleptique de ma mission : les cuvées (ou cuves) recueillent le jus issu du pressage de différentes variétés de pommes à dominante amère, douce ou acidulée. On dit que ces variétés typent la cuvée, tout en sachant qu’un producteur peut travailler jusqu’à 30 variétés de pommes à l’année ! ». Le technicien les aide ainsi à constituer, par assemblage, un cidre à la saveur harmonisée, équilibrée… C’est-à-dire susceptible de plaire à leurs clients ! « Une séance d’assemblage, ça peut durer parce qu’on cherche ensemble à obtenir une qualité optimale. On goûte et on se met d’accord sur ce qu’on juge être le mieux. Si une cuvée a de l’arôme, on va s’en servir pour donner de l’arôme aux autres, si elle dégage de la fraîcheur, elle leur donnera de la fraîcheur… À moi d’apporter un regard extérieur, d’ouvrir d’autres champs au producteur pour qu’il puisse affiner son cidre et lui donner du caractère. Le challenge, c’est que chaque année, il faut recommencer ce travail puisque les pommes récoltées varient en quantité comme en qualité ».
Parfois, il peut suspecter certains défauts. « Par exemple, un développement microbien susceptible d’altérer la qualité de la cuvée. Je suggère alors différentes techniques : filtration, soutirage, aération, assemblage afin de gommer le défaut et de rendre la cuvée consommable. À noter que la plupart de ces défauts peuvent être détectés au goût ou à l’odeur. » Mais cela ne suffit pas… Et comme les tests d’assemblage se font dans des éprouvettes, la plupart des échantillons partent au laboratoire.
L’analyse au laboratoire
Centrifugeuse, bac à ultrasons, distillateur, analyseur séquentiel… Rien n’échappe aux appareils du laboratoire. Ces analyses permettent de confirmer ou d’infirmer le diagnostic du terrain, mais aussi d’affiner les assemblages pour être sûr qu’ils correspondent au cahier des charges. En effet, pour pouvoir qualifier un cidre de doux, de demi-sec ou de brut, il doit répondre à un taux d’alcool précis. Les résultats de ces analyses, accompagnés d’un commentaire, sont ensuite envoyés au producteur avec la facture. Le passage au laboratoire est obligatoire pour tout cidre relevant d’un signe de qualité comme l’IGP (Indication géographique protégée) Cidre de Bretagne.
[caption id= »attachment_35435″ align= »aligncenter » width= »720″] Claire Riou est technicienne et assiste Mathieu au labo. C’est là qu’ils établissent la carte d’identité des échantillons prélevés en cave. Sur cette photo, équipée d’un densimètre électronique, Claire estime rapidement la quantité résiduelle de sucre d’échantillons provenant de Merdrignac.[/caption]
Attention aux idées reçues
Mais la qualité d’un cidre repose avant tout sur un subtil équilibre entre la durée de fermentation et les propriétés organoleptiques des pommes utilisées. « La capacité du cidrier à contrôler sa fermentation, donc le taux de sucre résiduel de ses cuvées, est fondamentale puisque contrairement au vin, la fermentation du cidre ne doit pas transformer l’intégralité des sucres en alcool. Il faut savoir la stopper au bon moment. C’est pourquoi elle se passe sous haute surveillance… Une complexité qu’on n’imagine pas pour une boisson à faible valeur ajoutée. Les gens pensent : produit pas cher, produit facile à faire…c’est tout le contraire ! », souligne l’œnologue.
« Quand je suis arrivé sur ce poste, j’ai presque dû repartir de zéro. Certes j’avais les bases : je savais ce qu’était un assemblage, une cuve, un filtre, mais sur l’élaboration du cidre : quasiment rien… J’ai appris sur le tas, passant mon premier été à éplucher des comptes rendus d’analyse et surtout à rencontrer les producteurs dont certains m’ont transmis énormément ! Et puis j’ai été bien épaulé par l’Inra et l’IFPC* du Rheu. » Depuis, Mathieu est devenu un atout précieux dans le jeu des petits cidriers bretons. Gageons que son action leur permet de continuer à proposer, chaque année, du bon cidre à leurs clients.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération.
Pour en savoir plus : Chambre d’agriculture Plérin-sur-mer : Mathieu Havard / Claire Riou au 02 96 79 22 86 ou 06 83 44 97 39 ou mathieu.havard@bretagne.chambagri.fr
« Stabiliser les cidres d’une année sur l’autre »
Mais sa mission a consisté aussi à mener des programmes de recherche sur les levures et les bactéries qui travaillent le cidre et plus largement, à étudier l’ensemble des métabolismes présidant à sa fabrication. Ce poste d’œnologue a permis, en partenariat avec l’Inra et IFPC* d’aider les cidriers à mieux connaître leur produit, mais surtout à fabriquer des cidres qualitatifs et stables d’une année sur l’autre. Il y a actuellement deux œnologues cidricoles en Bretagne : Mathieu Havard et Valérie Simard qui, elle, travaille à titre privé pour des cidriers de Cornouaille. Mathieu Havard intervient auprès de la moitié des cidriers fermiers et artisans de Bretagne. La Chambre régionale d’agriculture finance son poste, l’équipement du laboratoire et permet à l’œnologue de s’appuyer sur un large réseau de collaborateurs. *IFPC : Institut français des productions cidricoles
[caption id= »attachment_35436″ align= »aligncenter » width= »720″] Dégustation à l’embouteillage. L’œnologue cidricole, au goût comme à l’odeur, peut estimer les qualités ou les défauts d’un cidre à chaque étape de sa fabrication. Un savoir-faire sensoriel acquis également auprès des producteurs. Les échantillons envoyés au laboratoire permettent ensuite de valider les signes de qualités (Indication géographique protégée).[/caption]