Oser devenir chef d’exploitation porcine

Au CRP, de jeunes éleveurs ont témoigné pour « montrer qu’il y a de réelles opportunités pour réussir en production porcine en Bretagne. »

« Pour créer des emplois, il faut d’abord créer des employeurs », démarre Christophe Ginet, animateur du réseau Entreprendre en Bretagne qui accompagne les transmissions de PME. Pour oser se lancer dans l’aventure du chef d’entreprise, le spécialiste invité à animer l’assemblée générale du CRP conseille surtout de s’entourer de conseillers compétents et motivés à tous les niveaux. « Selon l’Insee, 50 % des entrepreneurs qui se lancent seuls ont cessé leur activité à horizon 5 ans. Les résultats sont encore pire si on s’intéresse au créneau des start-up. Par contre, 93 % de ceux qui sont encadrés pour démarrer, par exemple par un réseau associatif, sont encore là. » Enfin, avant de laisser la parole aux jeunes producteurs venus témoigner, il insiste sur un point : « Investir n’est pas un gros mot, mais une solution. Des jeunes entrepreneurs passent leur temps à hésiter : ils sont morts-nés dans leur secteur. Ils disparaissent parce que les autres avancent. Nos suivis montrent que ceux qui investissent ont une rentabilité et une durée de vie bien supérieures aux autres. »

Installé hors-cadre avec peu d’apport

Installé à Plouvorn (29), Frédéric Bellec est entré en 2007 comme salarié dans l’exploitation qu’il a finalement reprise. En 2010, quand il s’est décidé à se lancer, il a d’abord fait le tour des sites en vente. Avant de revenir vers la structure de son employeur. « 725 reproducteurs pour une SAU, pas énorme, de 67 ha en BV contentieux dans un secteur limitrophe de la zone légumière où la pression foncière est importante », détaille le jeune homme. « J’ai eu de la chance que le cédant ne se soit pas endormi sur ses lauriers en continuant à investir et à innover maintenant un outil cohérent et en état. »

Aujourd’hui, le Finistérien dirige seul une exploitation en faf intégrale s’approvisionnant en local et fabricant 7 500 t d’aliment par an et comptant 8 salariés. « Je me suis installé en 2015, retardé par la réforme des aides JA. Mais dès 2011, j’avais été impliqué dans les choix de la mise aux normes bien être. Et au moment de finaliser le dossier, le prêt du cédant a été d’une importance capitale pour convaincre la banque de me financer alors que je partais avec peu d’apport. » La vie de chef d’entreprise n’est pas un long fleuve tranquille, -« On ne nous a pas appris à l’école à gérer de la main d’œuvre et il faut être disponible 24 h / 24 pour les livreurs de céréales »-, mais Frédéric Bellec se lance sans cesse des « challenges » comme le doublement de la capacité de stockage de l’atelier. Il conseille d’apprendre à « relativiser », à aller chercher l’information et anticiper les attentes de ses salariés.

Persévérer malgré les difficultés

D’une famille hors milieu et fan de machinisme, plus jeune, Frédéric Baudet, se voyait conducteur avant qu’une saison en Beauce ne le fasse changer d’avis. Après un BEP production porcine, il devient salarié pendant 10 ans. « Je me disais que je ne m’installerai jamais vu les montants financiers à engager. » Mais en 2008, il décide finalement de se lancer. « Je cherchais un atelier avec de la terre pour satisfaire mon goût pour le matériel. » Après deux échecs de reprise, « je me suis dit que je ferai finalement ma carrière comme salarié. » Mais poussé par son patron, il persévère et reprend à Maroué (22) une structure sans terre de 240 truies et 110 places d’engraissement en 2011. « Hors-cadre, sans apport, sans rien avoir prouvé, ça n’a pas été facile… »

Après la mise en liberté des truies à l’installation, la mise aux normes est effectuée en 2013 avec le projet de restructurer l’élevage à partir de 2018. Mais en 2016, à quelques mois d’intervalle, deux incendies se déclarent dont l’un sur un site à peine réaménagé repris l’année précédente. « Les engraissements et les post-sevrages avaient brûlé. Dans ma tête, je voulais arrêter. Les gens autour de moi et au groupement me disaient de repartir… », raconte le Costarmoricain. « A ce moment-là, j’étais content d’avoir choisi une taille d’atelier suffisante pour avoir un salarié. C’est bien pour la vie privée bien sûr, mais aussi pour ne pas vivre ce genre d’épreuve seul. » Vite relevé, Frédéric Baudet avance et investit dans des bâtiments neufs et fonctionnels (post sevrage, bloc naissage, engraissement sur Trac). Aux porteurs de projet, il recommande surtout de « se faire une bonne expérience avant de faire le saut de la reprise ».

« Un agrandissement bouclé en 10 mois »

A Réguiny (56), Nicolas Jouannic s’installe en reprenant en 2006 l’élevage d’un tiers à proximité de l’exploitation de ses parents. « J’ai commencé par vider l’élevage alors que l’aliment était à 166 € / t et le porc à 1,6 € / kg. Quand mon premier cochon est sorti, la conjoncture avait changé : 250 € / t d’aliment et 1,4 € / kg de porc… » Dans le même temps, son beau-frère reprend un site distant de 300 m. S’entendant bien, à 3 associés, ils montent différentes structures et une holding avec des participations croisées. « Par exemple, nous avons créé un groupement d’employeurs pour éviter de doubler les contrats de travail pour des salariés évoluant sur des sites aussi proches, mais aussi une ETA pour la gestion du matériel en commun. »

En mars 2014, des vendeurs contactent Nicolas Jouannic. Après une première étude économique, il fait le tour de ses partenaires, notamment le groupement, et mène un audit bâtiment. « Les cédants savaient ce qu’ils en voulaient. Encore fallait-il convaincre la banque pour une reprise autour de 2,5 millions d’euros, car là on ne risquait pas d’apporter 30 % de fonds propres… », sourit-il. « Le dossier est rapidement accepté, mais il fallait mener un gros travail de répartition des masses et bien intégrer la fiscalité pour les vendeurs. C’est une pression énorme mais je trouve ça grisant. » En moins de 10 mois, l’affaire est bouclée : « Au 31 décembre, nous participons au dernier sevrage avec les anciens propriétaires. Le 1er janvier 2015, nous y sommes. »

Aujourd’hui, les associés conduisent plus de 800 truies, travaillent plus de 300 ha et produisent plus d’un million de litres de lait. Et les projets ne manquent pas : « Nous manquons encore de places d’engraissement. Fafeurs, nous visons l’autonomie, réfléchissons à des activités connexes comme la méthanisation… »

Dans un monde qui bouge, le Morbihannais se demande quelle est la taille idéale de structure pour demain. A 40 ans, sa motivation est « intacte ». Mais il craint la bataille « à l’export face aux Espagnols et Américains » et s’interroge sur la « segmentation ». Il souligne aussi la difficulté de trouver du personnel. « Pourtant, notre métier est gratifiant et très technique. » Si le salaire médian d’un salarié en Bretagne tourne autour de 1325 €, il conclut en précisant que « même un débutant chez nous commence au-dessus de ça avec un 13e mois en plus. »

[caption id= »attachment_35636″ align= »alignright » width= »159″]Philippe Bizien, président du CRP Philippe Bizien, président du CRP[/caption]

Un métier passionnant et épanouissant

 

Notre filière a besoin de modernisation, de restructuration et d’investissement. C’est ce qui lui manque cruellement… Ces trois jeunes éleveurs en présentant leur parcours ont fait part de leur passion. Eux ont investi et restent donc compétitifs. Il est temps d’oser expliquer, comme ils l’ont fait, que nous faisons un métier épatant. Chez nous, il est possible d’arriver sans un sou en poche et de monter une entreprise de 10 salariés avec des leviers techniques formidables. Celui qui est bon et motivé, il faut le dire, gagne de l’argent. C’est un job épanouissant. Philippe Bizien, président du CRP


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