Il trace un sillon dans la mer

Le Sillon de Talbert est un cordon à pointe libre, ancré à la terre. - Illustration Il trace un sillon dans la mer
Le Sillon de Talbert est un cordon à pointe libre, ancré à la terre.
Situé entre les embouchures des rivières Trieux et Jaudy, le Sillon de Talbert est un long cordon de galets de plus de 3 km qui a longtemps servi aux agriculteurs pour nourrir leur sol.

Il suffit de laisser le bourg de Pleubian (22), en continuant toujours tout droit. Saint Antoine indique le chemin, Crec’h Maout oriente vers la plage de Pors Rand. Là, on quitte son moyen de locomotion pour emprunter à pied le sentier des douaniers en direction du Sillon. Le phare des Héaux éclaire les visiteurs perdus de la nuit. Il est là, comme une langue de terre dans la mer, à défier le marnage des marées. La grande grève laisse à Min Buas le soin de montrer que la Manche est dans cette partie costarmoricaine magnifique. La petite grève, protégée par ce barrage naturel contre la houle, offre même un paysage herbager.

Le Sillon de Talbert tire son nom d’une première interprétation datant d’il y a 200 ans. « Les hommes pensaient à l’époque qu’une rivière se situait à cet endroit, et que les sédiments meubles s’en étaient allés. Une inversion de relief aurait ensuite créé cet ouvrage naturel », explique Odile Guérin, géologue. L’idée d’un fond de rivière, creusant le sol tel un laboureur travaillant la terre a donc baptisé ce site de Sillon. « Il s’agit en fait d’un cordon à pointe libre, ancré à la terre », précise la spécialiste de la terre.

[caption id= »attachment_36932″ align= »aligncenter » width= »720″]Guy Prigent, ethnologue et spécialiste des patrimoines littoraux. Guy Prigent, ethnologue et spécialiste des patrimoines littoraux.[/caption]

En réalité, le Sillon de Talbert s’est formé grâce à une roche granitique très fissurée, laissant l’eau pénétrer dans ses interstices. Pendant la période glaciaire, « ces pierres éclataient et formaient des épointements appelés tors granitiques, des cailloutis ont ensuite été retenus au sommet de ces pics ». La mer a ensuite roulé ces pierres pour former des galets, qui composent aujourd’hui le Sillon. Cette avancée dans la mer retient les algues d’échouage, autrefois utilisées pour de nombreuses applications, dont l’agriculture.

Le Sillon nourrit et protège

« Le Sillon est un véritable réceptacle pour goémon de houle d’ouest. Les anciens l’épandaient dans les champs à l’automne, pour qu’il se lave de son sel, avant de passer la charrue au printemps pour une culture de pomme de terre », note Guy Prigent, ethnologue et spécialiste des patrimoines littoraux. Paul Dantec, cultivateur dans cette partie du Trégor, se souvient. « Le goémon d’épave était étalé sur les champs, à raison de 25 ou 30 tonnes à l’hectare. Riches en potasse et en oligo-éléments, ces algues ont des résultats flagrants sur les artichauts : les cultures étaient plus saines et se portaient très bien ».

Plus jeune, l’agriculteur ramassait cette mine nutritive avec des chevaux, le tracteur a ensuite aidé les paysans dans cette récolte effectuée tout au bout du Sillon. Des fours à goémon ont aussi été créés le long du littoral, pour fabriquer des pains de soude aux divers usages. « Ils servaient à guérir les blessures, ou entraient dans la fabrication de savon, du verre ou de la poudre à canon. Des cabanes étaient dressées çà et là pour stocker les outils des goémoniers ». Guy Prigent tire entre autres ces conclusions de dessins de Louis-Marie Faudacq, peintre douanier du XIXe siècle.

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À chaque culture son algue

La nature est bien faite et met à disposition des cultures des éléments nutritifs issus de la mer, tout en humidifiant la terre et en l’aérant. Mais à chaque culture correspond son algue. Ainsi, Guy Prigent et Christian Porteneuve, ingénieurs à la station expérimentale Terres d’essai de Pleumeur-Gautier (22), ont collecté les enseignements d’Arthur Rémond, marin paysan. « Il avait une connaissance des algues. Par exemple, les ascophylums sont très appréciées par les pommes de terre ». Arthur Rémond faisait aussi jouer ses connaissances et son expérience pour apporter le goémon suivant la nature du sol, les terres lourdes ou légères n’étant pas amendées par les mêmes espèces.

Les manuels agricoles du XIXe siècle abordaient cette fertilisation des champs par les amendements marins. « Les apports de goémon ont aussi rééquilibré l’acidité des sols et ont été un facteur de création de la ceinture dorée que nous connaissons aujourd’hui », raconte l’ethnologue.

[caption id= »attachment_36930″ align= »aligncenter » width= »720″]Les dessins de Louis-Marie Faudacq, peintre douanier du XIXe siècle, ont servi à comprendre l’activité humaine sur le Sillon. Ici, on reconnaît le phare des Héaux en arrière plan, ainsi que Min Buas, énorme bloc rocheux dans la mer. Les dessins de Louis-Marie Faudacq, peintre douanier du XIXe siècle, ont servi à comprendre l’activité humaine sur le Sillon. Ici, on reconnaît le phare des Héaux en arrière plan, ainsi que Min Buas, énorme bloc rocheux dans la mer.[/caption]

Récoltée par les femmes

La récolte d’algue de coupe a été réglementée par Colbert, ministre de Louis XIV. « Il a légiféré sur la récolte des algues à pied, en instaurant des temps de coupe, à des périodes où l’algue ne se reproduit pas, comme en janvier. Il reste encore de nos jours des arrêtés municipaux sur certaines communes. C’est le cas à Lanmodez (22) ». Ar chwignet, sorte de petite faucille, était usité depuis longtemps pour ces récoltes, ou des crocs à 2 doigts. « Les Finistériens utilisent des râteaux, le littoral se composant plutôt de sable. Ici, nous sommes sur des rochers. Cette difficile activité de récolte était bien souvent réalisée par les femmes, qui ont joué un rôle majeur ».

L’activité humaine a désormais disparue sur le dos du Sillon. Depuis quelques mois, une brèche s’est formée sur ce site. « C’est une évolution normale et prévisible, le Sillon se rompt au fur et à mesure qu’il se cambre. Un autre Sillon a même déjà existé, il y a 120 000 ans, car nous avons trouvé sa racine sous l’estran », explique Odile Guérin. Un éternel recommencement, qui verra disparaître ce trait de galet dans la mer avant la naissance d’un autre dans plusieurs centaines de milliers d’années.

Une maison pour le Sillon

La réserve naturelle régionale du Sillon de Talbert est sous la protection de la Région Bretagne, du Conservatoire du littoral et de ses partenaires. L’accès au site est libre. Le conservatoire du littoral dispose d’une maison, au pied du Sillon, ouverte d’avril à septembre.


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