La Froment du Léon ne compte pas que pour du beurre

Froment-du-Leon-2 - Illustration La Froment du Léon ne compte pas que pour du beurre
Après avoir failli disparaître, la Froment du Léon reconstitue peu à peu ses effectifs grâce au travail de quelques éleveurs. Les trégorrois Isabelle et Benoît Allain sont persuadés que ces races locales ont toujours leur place, mais dans un système avec transformation et vente directe.

Avec précision, Benoît Allain saucissonne en bûchettes de 250 g un long cylindre jaune tout droit sorti de son poussoir à saucisse… Il les pèse, ajuste leur poids au gramme près, avant qu’Isabelle, sa femme, ne les emballe d’un geste précis dans du papier (voir photo). « Quand on informe nos clients qu’on va partir en vacances pour une semaine, certains nous disent : je vais prendre une livre de plus et la congeler, sinon, ça ne va pas le faire ! ». De sympathiques addicts, conscients du privilège qu’ils ont de manger un beurre au lait cru sorti pour moitié du pis de « Froment du Léon », puisque cette race a bien failli disparaître.

« Dans l’euphorie des années 60, les éleveurs se sont engagés dans un modèle où il fallait produire pour produire, avance l’éleveur. La Froment du Léon a été balayée par la Normande puis par la Prim’Holstein ». Heureusement que quelques « allumés » se sont intéressés aux races locales. Aujourd’hui, grâce à eux, des projets alternatifs comme le nôtre peuvent se monter ».

[caption id= »attachment_37267″ align= »aligncenter » width= »720″]Benoît à la découpe, Isabelle à l’emballage. Le beurre au lait cru se conserve certes moins longtemps mais il garde toutes  les qualités organoleptiques d’un lait de ces vaches exclusivement nourries à l’herbe et au foin séché.   Benoît à la découpe, Isabelle à l’emballage. Le beurre au lait cru se conserve certes moins longtemps mais il garde toutes les qualités organoleptiques d’un lait de ces vaches exclusivement nourries à l’herbe et au foin séché.[/caption]

« Un jour, j’en aurai »

Très tôt, pendant ses études, Benoît Allain a commencé à s’intéresser à la biodiversité domestique : « J’ai découvert que la Froment était une race présente dans le Trégor. Dès lors, je me suis dit que plus tard j’en aurais, au moins pour apporter ma pierre à l’édifice et contribuer à un idéal collectif : la sauver ! Du coup, des copains sachant qu’on en cherchait, nous en ont offert une en cadeau de mariage ! ».

Le couple d’agriculteurs rencontre alors des éleveurs, puis leur achète des génisses : « C’est comme ça qu’on a débuté l’intégration de Froments à notre troupeau ». On pourrait croire, à les écouter parler, qu’ils se sont simplement pris d’affection pour une race en danger. Ce n’est qu’en partie vrai. Certes, l’engagement pour la préservation fait bien sur la photo, mais elle s’insère dans un projet beaucoup plus abouti, basé sur le local : élever une race locale, produire local, vendre local.

Aussi rare, qu’exceptionnelle !

La Froment du Léon est une petite vache : 1,40 m au garrot pour environ 500 kg. La couleur de sa robe unie rappelle celle d’un blé mûr, allant du clair au foncé. On dessine son berceau d’origine dans un secteur compris entre Paimpol et Saint-Brieuc. Animal doux et docile, on la surnommée « vache à madame » ou « vache des châteaux ». Elle est génétiquement proche de la Jersiaise et de la Guernesey (races des îles anglo-normandes). Adaptée à la vie en plein air, elle présente cependant quelques fragilités dans sa conduite. Attention, par exemple, à ne pas réduire trop vite sa ration au moment du tarissement. Friande d’herbe et de prairies, la Froment produit environ moitié moins qu’une laitière classique : 4 000 litres par an. Un Inconvénient largement compensé par un lait riche en carotène (d’où ce beurre jaune « bouton-d’or ») et en acides gras qui donnent une excellente crème.

Ce lait est donc particulièrement adapté pour une valorisation en produits haut de gamme sur le plan gustatif comme nutritionnel. Pas étonnant qu’avec la préoccupation croissante des consommateurs pour ce qu’ils mangent, la race suscite à nouveau l’intérêt des éleveurs. Le syndicat veille De quoi assurer définitivement le sauvetage d’une race qui a bien failli disparaître. De 25 000 vaches recensées en 1932, les effectifs ont chuté régulièrement jusqu’à atteindre quelques dizaines d’individus dans les années 80, puis remonter jusqu’à 400 actuellement. Le syndicat d’éleveurs de Froment du Léon, créé en 1994 sous l’impulsion de Jean Sergent, technicien au Parc naturel régional d’Armorique, veille sur ses protégées. En partenariat avec l’Institut de l’élevage, il contribue à l’encadrement zootechnique et génétique de la race et participe au projet Varape : « Valorisation des races à petits effectifs par les circuits courts ».

Savoir se donner les moyens

« Dès le départ, on savait qu’un jour, on transformerait à la ferme ». Vision à long terme. Inutile, en effet, d’élever une race réputée pour la richesse de son lait (lire encadré), si on ne fait les choses qu’à moitié… « Ça passait d’abord par l’alimentation. La première étape a donc consisté à construire un séchoir à foin avec la mise ne place d’un système herbager. On a pu ainsi progressivement supprimer le maïs et l’enrubannage ». Un projet réalisé pas à pas, sur une dizaine d’années en prenant soin de ne pas précipiter les choses, ne serait-ce que pour échapper à la pression culturelle du monde agricole : « Le fait qu’Isabelle n’en soit pas issue nous a aidés à tenir bon dans nos convictions », souligne Benoît Allain.

[caption id= »attachment_37265″ align= »aligncenter » width= »720″]Tous les mardis, dans l’ancien poulailler du père de Benoît, un marché fermier réunit une dizaine de producteurs locaux. Isabelle y vend du lait entier et tous les produits qu’elle transforme au labo.     Tous les mardis, dans l’ancien poulailler du père de Benoît, un marché fermier réunit une dizaine de producteurs locaux. Isabelle y vend du lait entier et tous les produits qu’elle transforme au labo.[/caption]

À tenir bon, oui, mais pour faire quoi et en arriver où ? « Il était inconcevable d’exercer ce métier sans aller au bout d’une démarche qu’on peut résumer ainsi : gagner sa vie en ayant un impact minimal sur l’environnement et produire quelque chose que l’on peut manger soi-même en y prenant du plaisir… Quelque chose qui sorte de l’ordinaire. On peut considérer qu’en vendant du beurre à des chefs parisiens, on y est arrivé, sans perdre de vue, toutefois, que l’essentiel est de le vendre à nos voisins ! »

Gaec du Wern – Coat Arzur – Ploubezre (22) – 02 96 47 19 37  – Marché à la ferme, les mardis (16 h-19 h).

Carte d’identité et historique : Dix ans pour une conversion

  • Production : 170 000 L
  • Valorisation du lait : 60 %.
  • Troupeau : 43 vaches laitières dont 50 % de Froment du Léon.
  • Surface agricole : 70 hectares principalement en pâtures.
  • Transformation : beurre au lait cru, crème fraîche, fromage blanc, riz au lait, groslait.
  • Vente et distribution :
    – Lait collecté par Biolait.
    – Lait, beurre et laitages vendus au marché hebdomadaire à la ferme, dans les Biocoop de Lannion, en ligne via le site « les paniers du bocage », restaurants et épiceries fines de Paris.
  • Principales étapes :
    • 1998 : installation de Benoît en Gaec avec son père sur un élevage de volaille de chair. Création d’un atelier laitier.
    • 2001 : construction d’un séchoir à foin, chauffé au bois déchiqueté avec conversion en système herbager.
    • 2009 : début de la conversion bio.
    • 2011 : départ en retraite du père de Benoît et installation d’Isabelle.
    • 2012 : Création du laboratoire et début de la vente directe
    • 2013 : Arrêt définitif de la production de volaille.
  • Projets et perspectives :
    • Fin 2018 : passage en monotraite,
    • 2025 : troupeau à 100 % Froment du Léon.

Pierre-Yves Jouyaux


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