Le ver « solidaire »

ver-2Arenicole - Illustration Le ver « solidaire »
Les vertus du ver de terre pour l’aération des sols sont connues. Mais ce sont les propriétés de son cousin marin pour l’oxygénation des tissus que la société morlaisienne Hemarina a mis au jour et exploite. Bouffée d’air iodé en compagnie de Franck Zal, fondateur et directeur général de cette entreprise innovante.

Les plages bretonnes en regorgent. À marée basse, sur l’estran, des milliers de tortillons de sable trahissent leur présence. Ces « buzhug », très appréciés des pêcheurs locaux pour qui ils constituent des appâts de choix, ce sont les arénicoles. Biologiste marin de formation, Frank Zal s’est d’abord intéressé au riftia, un ver tubicole vivant dans les milieux extrêmes, au fond des océans, avant de se focaliser sur l’arénicole. « À quelques mètres de mon laboratoire de la station biologique de Roscoff, il y avait cet organisme, fruit de 450 millions d’années d’évolution, capable de résister à des écarts de température, à l’alternance des marées, aux variations de salinité… Je me suis demandé comment il faisait pour respirer dans de telles conditions ».

Formidable intuition. Le jeune chercheur découvre alors que la bouteille d’oxygène de l’arénicole n’est autre que son hémoglobine. Une molécule aux propriétés bien particulières puisque capable de transporter 40 fois plus d’oxygène que son homologue humaine, tout en étant 250 fois plus petite. Les travaux du thésard attirent l’attention d’un groupe de médecins parisiens, spécialistes du sang, qui le convie à une présentation. « Au début, j’ai eu un peu le sentiment d’être l’invité d’un dîner de cons… Puis, au fur et à mesure de la discussion, j’ai senti une attention de plus en plus prononcée. Et à la fin, ils m’ont dit que j’avais trouvé le transporteur d’oxygène universel qu’ils attendaient depuis 40 ans, que cela allait sauver des vies ». Le champ des applications thérapeutiques de cette découverte apparaît alors immense. De retour à Roscoff, Franck Zal doit pourtant déchanter. « Ma tutelle m’a rappelé que j’étais là pour faire de la recherche. Que ce n’était pas à moi de me préoccuper de la valorisation de ce que j’avais trouvé ».

[caption id= »attachment_37269″ align= »aligncenter » width= »720″]L'hémoglobine de l'arénicole permet de mieux préserver les organes en attente de greffe. L’hémoglobine de l’arénicole permet de mieux préserver les organes en attente de greffe.[/caption]

Du ver à la souris

Mais l’homme est tenace. Parallèlement à ses travaux officiels, il commence à transfuser de l’hémoglobine d’arénicole à des souris. Les résultats sont des plus probants. « Il n’y avait pas de réaction immunitaire, aucun problème d’allergie… ». Dans les années 2000, ses études font l’objet de publications scientifiques. Puis vient le temps des premiers brevets.

Mais le chercheur éprouve une certaine frustration et ressent l’envie d’aller plus loin, d’explorer tout le potentiel de sa découverte. Un matin, à la radio, il entend un reportage sur le Prix de la création d’entreprise innovante décerné par le Ministère de la recherche. Il décide de concourir et décroche le prix ainsi que la précieuse aide financière qui l’accompagne. En mars 2007, Franck Zal quitte le CNRS et se lance dans l’aventure entrepreneuriale avec la création d’Hemarina.

Bon sang mais c’est bien sûr !

« J’avais une molécule intéressante, je me suis donc demandé ce que je pouvais en faire. L’arénicole étant capable de vivre plusieurs heures sur son stock d’oxygène, j’ai eu l’idée de m’intéresser aux greffes. Lorsque l’on déconnecte un rein, il faut être capable de le maintenir dans les meilleures conditions avant de pouvoir le transplanter ». Bingo ! En utilisant le transporteur d’oxygène Hemo2life mis au point par Hemarina, le temps de conservation d’un greffon de rein est passé de quelques heures à une semaine. Celui d’un poumon, de 6 heures à 2 jours. Une révolution dans la course contre la montre que constitue une greffe.

La jeune société a également développé HEMHealing, pansement du futur qui permet d’apporter de l’oxygène aux plaies hypoxiques (pieds des diabétiques) et ainsi d’améliorer la vitesse de cicatrisation. Quant à Hemoxycarrier, son transporteur thérapeutique d’oxygène, il peut être employé dans le traitement de la drépanocytose (maladie génétique de l’hémoglobine) mais aussi de l’ischémie cardiaque et de l’accident vasculaire cérébral. La taille réduite de la molécule lui permettant de se faufiler à travers les interstices dans les vaisseaux encombrés. Au total, Hemarina a déjà identifié une vingtaine d’applications différentes. Dont certaines inattendues comme dans le secteur agroalimentaire où la poudre de ver marin peut se substituer au sang de porc dans des préparations afin de proposer des produits casher.

Prendre sa chance

La réussite de l’entreprise morlaisienne ne se mesure pas à l’aune de son chiffre d’affaires. « Nous ne sommes pas sur un schéma économique traditionnel, explique Franck Zal. Nous négocions avec nos partenaires des pourcentages en contrepartie du droit d’utiliser nos brevets. Nous sommes aujourd’hui dans l’économie de la connaissance et il faut innover, réinventer des modèles, sortir de notre zone de confort ». Lorsque d’anciens collègues lui disent qu’il a pris un risque en quittant son statut de fonctionnaire, lui rétorque qu’il a, au contraire, « saisi sa chance ». Et réfute l’opposition stérile entre la recherche fondamentale et le monde économique.

S’il reconnaît avoir eu la chance de rencontrer les bonnes personnes pour accompagner les premiers pas de sa société, le chercheur avoue être passé, auprès de ses pairs, par les différentes phases que connaît tout porteur d’innovation. « D’abord, j’ai été pris pour un abruti. Ensuite, mon idée a été jugée dangereuse. Puis, enfin, on m’a dit que tout le monde y avait pensé avant moi ! » Une forme de reconnaissance, sans doute. Seule certitude, la passion du gamin qui se rêvait océanographe en regardant les émissions du commandant Cousteau est demeurée intacte. Et il a trouvé sa propre voie. Une piste garantie « sang pour sang » originale !

Pascal Barré Arkéa Capital, groupe Arkéa

La capacité à développer

Chez Arkéa Capital, nous accompagnons les dirigeants d’entreprise dans leur projet capitalistique à travers des participations minoritaires et durables. L’élément déterminant dans le choix de nos investissements est en premier lieu la capacité du dirigeant et de ses équipes à développer leurs activités en prenant en considération l’environnement dans toutes ses composantes : humaine, sociétale, industrielle et commerciale. Rupture technologique majeure, multitude des applications thérapeutiques et enjeux mondiaux de santé publique ont été des arguments supplémentaires qui nous ont convaincus de la nécessité d’accompagner Franck Zal et Hemarina. Depuis notre intervention en 2010, l’efficacité des produits développés par la société n’a jamais été démentie et les obstacles d’ordre réglementaire sont régulièrement franchis.

Jean-Yves Nicolas


Tags :
Fermer l'écran superposé de recherche

Rechercher un article