Les éleveurs ont pris le taureau par les cornes

Églantine Touchais transforme 15 000 L de lait de Bretonne Pie Noir. - Illustration Les éleveurs ont pris le taureau par les cornes
Églantine Touchais transforme 15 000 L de lait de Bretonne Pie Noir.
Depuis 2016, trente cinq éleveurs membres de la Fédération des races de Bretagne mutualisent données et pratiques pour optimiser la conduite de leurs exploitations. De quoi créer, espèrent-ils, de nouvelles vocations. Reportage.

Erwan Rousseau, producteur légumier dans le Trégor, utilise le fumier de ses Armoricaines pour fertiliser sa terre. Ses veaux sont élevés sous la mère. Camille Le Roux, salariée à mi-temps, s’est récemment lancée dans un petit élevage de Porcs blancs de l’Ouest parce qu’elle a « toujours eu envie de produire sa nourriture et de pouvoir en vivre à terme ». Églantine Touchais, ex-contrôleuse laitière, conduit un troupeau de 12 Pie Noir près de Dol et transforme ses 15 000 litres de lait à la ferme.

« Des projets différents, mais qui ont tous leur cohérence », souligne Clémence Morinière, animatrice de la Fédération des races de Bretagne. Point commun de ces trois éleveurs — en plus de travailler avec une des 11 races suivies par la fédération (lire encadré plus bas) ­— avoir fait le choix d’un modèle d’exploitation économe et autonome.

[caption id= »attachment_37587″ align= »aligncenter » width= »720″]La Froment du Léon est une des quatre races bovines bretonnes suivies par la fédération.  La Froment du Léon est une des quatre races bovines bretonnes suivies par la fédération.[/caption]

Le coût et la marge

« Parce qu’il est possible de vivre sur une petite surface et avec un investissement de départ raisonnable », avance Églantine Touchais. Et il se trouve que les races locales sont tout à fait adaptées à des systèmes visant à réduire les coûts de production tout en augmentant les marges. Un exemple ? La Pie Noir comme l’Armoricaine, races rustiques et fertiles, vivent à l’air libre et voient très peu le vétérinaire… Nourries essentiellement à l’herbe et au foin, elles peuvent contribuer à l’autonomie fourragère de l’élevage. Par ailleurs, la qualité de leur lait, comme de leur viande, offre un argument supplémentaire à l’éleveur pour les transformer à la ferme et vendre en direct ou en circuit court. Mais suffit-il pour autant d’avoir la mention « Race locale » écrite sur l’étiquette du beurre ou du jambon pour être un éleveur heureux ?

Loin des clichés et proches des réalités du terrain, 35 éleveurs de la fédération se sont engagés en 2016 dans un projet intitulé : optimiser la conduite des troupeaux de races locales bretonnes. « Pour le financer, ils ont répondu à l’appel pour une Agriculture écologiquement performante (AEP) lancé par le Conseil régional en 2013 », se félicite Clémence Morinière.

Parrainage et aide à la décision

Finalité de ce projet : gagner en crédibilité en recensant les spécificités de chaque race et de chaque élevage ; partager expériences et savoir-faire ; et enfin valoriser un modèle agricole économe et autonome. C’est à Rim Chaabouni, animatrice technique au sein de la fédération, qu’a été confié le soin d’animer ce projet : « Après avoir recueilli par entretiens individuels un ensemble de données, j’ai organisé des journées d’échange et de formation sur quatre thématiques : alimentation et pâturage, reproduction et génétique, qualité des produits, conduite du troupeau. Les éleveurs étaient répartis en trois sous-groupes : bovin-viande, ovin-viande et lait. Ensuite, une documentation (propre à ces entretiens et à ces travaux) et un outil d’aide à la décision ont été mis en ligne. Ce dispositif permet aux éleveurs d’obtenir des réponses ciblées, par exemple, en sélectionnant les critères « bovin viande et autonomie fourragère », ils obtiennent des éléments de réponse sur ce type de système, sans avoir à consulter l’ensemble des informations ».

[caption id= »attachment_37586″ align= »aligncenter » width= »720″]Clémence Morinière et Rim Chaabouni, permanentes de la Fédération des Races de Bretagne. Installées dans les locaux de la chambre régionale d’agriculture, elles sont employées par le Groupement d’intérêt économique « Élevages de Bretagne ».  Clémence Morinière et Rim Chaabouni, permanentes de la Fédération des Races de Bretagne. Installées dans les locaux de la chambre régionale d’agriculture, elles sont employées par le Groupement d’intérêt économique « Élevages de Bretagne ».[/caption]

En mutualisant données et pratiques, les éleveurs de races bretonnes crédibilisent leur démarche et encouragent de nouveaux projets. D’autant que l’intégration d’une race locale peut se faire progressivement sans mettre en péril la rentabilité d’une exploitation. Dernière idée en date pour encourager les vocations : la mise en place de parrainages qui permettront aux porteurs de projets de créer des liens tout en bénéficiant de l’expérience de leurs ainés.

Une fédération pour onze races

C’est en septembre 2010 qu’émerge chez quelques éleveurs, l’idée de se regrouper pour partager les pratiques et mieux valoriser les produits. Un an plus tard, la Fédération des races de Bretagne est lancée. Elle travaille sur trois principaux axes : assurer le lien et les échanges entre éleveurs, accompagner la professionnalisation du métier et assurer la promotion des produits et des savoir-faire.
Dix races bretonnes sont suivies par la fédération.
• Bovins : « Nantaise », Loire Atlantique – Pays de Vilaine. « Froment du Léon », région entre Paimpol et Saint-Brieuc. « Bretonne Pie Noir », Sud-Finistère et Morbihan. « Armoricaine », centre Bretagne.
• Ovins : « Belle île » et « Mouton d’Ouessant », deux races originaires des îles dont elles portent le nom. « Landes de Bretagne », Bretagne historique.
• Caprins : « Chèvre des Fossés », région Bretagne, Haute – Basse Normandie et Pays de la Loire. Porcins : « Porc Blanc de l’Ouest », origine grand Ouest.
• Volailles : « Coucou de Rennes », bassin de Rennes.
• Abeilles : « Abeille Noire d’Ouessant », souche Bretonne de l’abeille noire européenne.

L’enjeu génétique : Conserver des races à faible effectif

« C’est parce qu’elles ne répondaient pas aux critères du système agricole mis en place après la seconde guerre mondiale (système basé sur les volumes de lait ou de viande) que nombre de races locales ont failli disparaître, » explique Lucie Markey, responsable de l’Organisme de sélection des races bovines locales à petits effectifs à l’Institut de l’Elevage. « En France, on parle de faible effectif en dessous de 5 000 bêtes. Chiffre à comparer avec les 47 Armoricaines recensées en 1978 alors qu’on en comptait près de 360 000 en 1936. C’est grâce à de la semence de taureaux nés dans les années 50 et retrouvée dans des centres d’insémination que cette race a été sauvée et compte aujourd’hui 470 vaches. »

Même si toutes les races à faible effectif sont en nette progression, on reste sur une population inférieure à 0,2 % du cheptel français, relativise Lucie Markey. « J’ajoute qu’au-delà de la valeur patrimoniale de ces races intimement liées à leur territoire, la préservation de la diversité génétique est un moyen de répondre aux besoins des éleveurs de demain comme à ceux d’aujourd’hui qui valorisent leur travail avec des produits locaux différenciés ». Autre mission de l’Organisme de sélection : effectuer un suivi généalogique en lien avec les éleveurs : « Il s’accompagne de prélèvements de semence pour stocker des doses d’insémination. De quoi éviter une homogénéisation des races et répondre au mieux aux souhaits diversifiés des éleveurs ».

Pierre-Yves Jouyaux / Groupama


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