De l’envie de partager à la peur de communiquer

td_controverse - Illustration De l’envie de partager à la peur de communiquer
Cette productrice de lait bretonne adore son métier et ses animaux. Longtemps, elle a eu plaisir à en faire la promotion. Mais elle a décidé il y a un an qu’elle n’ouvrirait plus ses portes. Elle explique ce choix.

Pendant des années, pourquoi avez-vous apprécié recevoir du public chez vous ?

« J’ai ouvert mes portes plusieurs fois. Des demandes ont d’abord émané du monde agricole à l’occasion de formation ou d’assemblée générale. C’était finalement une organisation assez simple, même si je m’y prenais une semaine à l’avance pour le nettoyage et l’entretien. Je voulais que tout soit nickel comme si j’ouvrais ma maison. Entre professionnels, il n’y avait pas de clichés, l’échange était simple.
Puis, peu à peu, j’ai été sollicitée par des habitants ou le syndicat d’initiative pour recevoir de petits groupes non issus du milieu agricole. Des touristes par exemple, notamment l’été. Je pense que le robot de traite attirait plus particulièrement. Comme j’étais à l’aise avec les agriculteurs, je me disais que c’était dans la continuité. J’ouvrais ainsi mes portes 2 ou 3 fois par an. Au départ, je n’avais aucune appréhension. Expliquer notre métier était plutôt simple. Je commençais toujours par les veaux pour suivre le chemin de vie de l’animal. »

Mais c’est fini. Vous vous êtes résolue à ne plus accueillir… Pourquoi ce changement de cap ?

« C’est venu petit à petit. Il y a d’abord un contexte global hostile, une tension palpable, avec toutes ces photos ou vidéos négatives postées sur Internet par des personnes anti-élevage. Les incivilités envers les agriculteurs ont augmenté… Sous prétexte de l’avoir vu à la télé, les gens pensent que c’est comme ça partout et ils se permettent de nous juger alors qu’ils ne connaissent pas notre réalité. Nous sommes obligés de mettre des chiens de garde sur les sites, des panneaux « propriété privée », des caméras de surveillance, de fermer les bâtiments à clé… Aujourd’hui, chaque mot doit être pesé.

D’un point de vue plus personnel, lors des visites sur la ferme, j’ai senti venir des réflexions, des questions de plus en plus embarrassantes. On m’a parlé de la séparation traumatisante du nouveau-né de sa mère, du bouclage et de l’écornage douloureux des veaux, de la traite qui fait mal aux trayons des vaches, de la maigreur de mes laitières… Un petit bobo était tout de suite repéré parmi le troupeau bien portant, alors que dans une cour de récréation, il y a toujours un genou écorché… »

Comment réagissiez-vous à ces remarques ?

« J’essayais de répondre avec humour. J’expliquais que la boucle d’oreille n’était pas mon choix mais que c’était primordial pour la traçabilité au profit du consommateur. Que l’écornage évitait bien des accidents graves pour les congénères et les éleveurs, en précisant que j’endors les jeunes animaux au préalable pour opérer en douceur.

Que les vaches aiment se faire traire car cela soulage leur mamelle. Que mes Prim’Holstein, suivies chaque mois par des techniciens, sont bien portantes : si elles étaient trop grasses, elles auraient des problèmes de fièvre vitulaire, d’acidose ou d’acétonémie après vêlage… J’aimais bien employer ces termes pour démontrer aux non-agricoles la technicité de notre métier, combien il s’est professionnalisé. »

Y a-t-il eu un élément déclencheur dans votre décision de montrer porte close ?

« Le déclic a été double. D’une part, en 2017, un visiteur m’a fait une critique quant à l’insémination animale que certains considèrent comme du viol. À peu près au même moment, s’est déroulée une opération publique dans notre région pour financer une association anti-élevage. Deux gouttes d’eau qui ont fait déborder le vase… 

Dans la profession, certains conseillent de fermer nos portes. D’autres, au contraire, de les ouvrir en grand pour communiquer. Même si mon élevage est bien tenu, moi, je suis passée d’un extrême à l’autre. Car quand vous vous retrouvez seule face à des gens virulents ou blessants, avec qui aucun dialogue n’est possible, c’est très difficile à vivre. J’ai toujours réussi à gérer, mais aujourd’hui cela me fait peur. Des gens veulent casser le modèle agricole français qui est pourtant très bon. En plus, une porte ouverte peut être l’occasion de repérer les lieux. Les éleveurs sont des proies si faciles… Mais pour terminer sur une note positive, je garderai néanmoins, en mémoire, ces contacts majoritairement chaleureux avec mes visiteurs. J’aimais les voir repartir avec le sourire et un regard différent sur mon métier qu’ils avaient découvert. »


Fermer l'écran superposé de recherche

Rechercher un article