Trente-sept ans les séparent, mais une valeur les réunit : le refus de l’injustice. Leur engagement syndical a germé sur ce terreau humaniste. Avec cette belle et noble idée de se battre pour la dignité du monde paysan.
Il leur est arrivé d’écouter s’épancher des hommes. D’écouter des agriculteurs à bout. À bout de tout. Motifs financiers ou peines de cœur. Parfois même ont-elles deviné les larmes sèches de l’absence de peine de cœur, tant la solitude les a rongés de l’intérieur. Quand on est syndicaliste, et femme, on est aussi l’affidée des hommes qui se confient rarement à leurs pairs masculins.
Se battre pour la bonne cause
Anne-Marie Crolais, 40 ans d’engagement syndical dans les Côtes d’Armor, et Cécile de Saint-Jan, actuelle vice-présidente des Jeunes Agriculteurs du même département, partagent cette même conviction : le syndicalisme ne se résume pas à porter des dossiers devant les préfectures et les ministères. Le syndicalisme est avant tout social et humain. D’abord social et humain. Un lieu où l’on échange, où l’on se soutient, où l’on se bat collectivement « pour une cause commune : celle du monde paysan ». Une belle école du vivre ensemble. « La meilleure école », rectifie Anne-Marie Crolais qui fut une des premières présidentes de France du CDJA. C’était en 1976. Au point de départ de l’engagement de ces deux Costarmoricaines, des expériences douloureuses quand elles étaient enfant. Cécile de Saint-Jan a partagé avec ses parents la pénible traversée des crises porcines à répétition. « Autant dire que ma mère ne souhaitait pas que je devienne agricultrice », raconte la jeune femme qui a pourtant démarré cette aventure à 22 ans, avec son époux Anthony, sur une exploitation laitière à Saint-Vran.
Des femmes n’ont pas la parole chez elles
« Pour ma part, je n’ai jamais douté », poursuit-elle. « Dès mes 10 ans, je savais que je voulais être agricultrice. Aujourd’hui, je suis entièrement satisfaite de mon choix ». Si sa mère n’incite pas Cécile à s’installer, elle ne manque cependant pas de lui transmettre une valeur humaine fondamentale : l’esprit de solidarité. « Elle est là la racine de mon engagement syndical ». Et d’insister : « Il faut que les femmes osent, qu’elles arrêtent de s’autocensurer. Quand je suis chez moi, comme quand je participe aux réunions nationales Jeunes Agriculteurs à Paris, je me sens autant écoutée qu’un homme. Mais je m’aperçois en consultant les blogs d’agricultrices qu’il y a encore beaucoup de femmes qui n’ont pas la parole chez elles ».
La parole, Anne-Marie Crolais la prend. Surtout si on ne lui la donne pas. Plus question en effet de baisser la tête et de se taire, comme quand elle était pensionnaire chez les sœurs à Erquy et que, le dimanche à l’église, elle entendait les « grandes dames » faire des commentaires sur ses robes qu’on lui avait données. « Nous étions 8 enfants, sur une petite ferme. Cette condescendance me révoltait. D’où mon engagement pour la dignité des paysans ». Elle ne s’étonne cependant pas d’entendre sa cadette lui parler de ces femmes encore sans voix dans les campagnes. « Un de mes premiers combats a été de militer pour la décohabitation », dit-elle. « Pour que les femmes ne soient pas sous la coupe des parents, beaux-parents, pour qu’elles gagnent en liberté ».
Ce premier chantier la conduira plus tard à réclamer un vrai statut professionnel pour la femme. Avec des méthodes qui sont siennes et marquent les esprits : dérouler une banderole « Chambre des agricultrices » sur les murs de l’organisme consulaire de Plérin. « L’EARL revenait à créer deux statuts de paysan sur une ferme. Il a fallu se battre contre les hommes qui rechignaient entre autres à payer des cotisations sociales supplémentaires », se remémore Anne-Marie Crolais qui parle là de son plus grand combat syndical. Le plus beau aussi car « le revenu participe à l’émancipation de la femme ».
L’aboutissement syndical féminin ? « Rien n’est définitivement acquis », acquiescent les deux militantes qui invitent à « la vigilance ». Et d’accorder que, « quand il y a des difficultés dans un couple ou sur une ferme, c’est souvent la femme qui se sacrifie, par exemple en allant travailler à l’extérieur ». Une réalité contemporaine qui pourrait conduire à écrire cette nouvelle épigraphe des campagnes bretonnes : « L’absolue nécessité de maintenir la vitalité économique dans les territoires ruraux pour que vive l’agriculture au féminin-masculin ».
« Il faut installer des agricultrices »
« Car lorsque les femmes travaillent en ville, les enfants vont à l’école en ville, font du sport en ville ; vidant peu à peu les campagnes des jeunes qui sont le gisement pour le renouvellement des générations ». Les deux syndicalistes insistent : il faut installer des agricultrices, développer des activités économiques connexes comme le tourisme, déployer le télétravail par l’installation rapide de la fibre optique. Car une chose leur semble acquise : il n’y aura pas d’agriculteurs entreprenants et heureux sans femmes dans les campagnes. Ce ne sont pas les hommes qui diraient le contraire.
