La logistique recouvre deux points essentiels : le stockage et le transport. Ce sont des composantes incontournables des cotations et encore plus de la compétitivité d’une production agricole.
Pour bien comprendre le prix de marché d’une production agricole, il ne suffit pas de mettre face à face offre et demande, il faut aussi regarder comment elles se rejoignent, concrètement. Or, le stockage et le transport ressemblent souvent aux angles morts, ces données qui nous échappent et peuvent provoquer un dérapage.
Reprendre la main sur la cotation à la récolte
Prenons l’exemple du stockage des grains, force et faiblesse à la fois. Contrairement à un éleveur, le producteur de céréales peut, en investissant dans du stockage, maîtriser plus facilement sa mise en marché. Ces dernières années, les capacités de stockage à la ferme ont progressé aussi bien aux USA, qu’en Amérique du Sud ou même en Europe. Une manière, pour les agriculteurs, de reprendre la main face à des négociants qui faisaient la pluie et le beau temps sur les cotations à la récolte. ADM, Bunge, Cargill, Dreyfus, les ABCD historiques du marché, n’ont pas tout de suite réagi à ce déplacement de curseur. Mais le développement des plates-formes numériques de commercialisation a fini par avoir raison d’un business modèle qui devait se réinventer. A
Aujourd’hui, ces géants revoient leur copie, repositionnant une partie de leurs activités vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée. Reste qu’en rééquilibrant un peu les forces de marché, et en se réappropriant la commercialisation de leur récolte, les producteurs endossent aussi le risque qui va avec… Il faut alors monter en compétences dans son analyse du marché et dans les outils d’arbitrage sur les marchés à terme, pour ne pas faire de ce stockage, une pure spéculation.
La rétention, une arme à double tranchant
Le stockage est plutôt bien rémunéré aux USA, comme en attestent les cotations de blé ou de maïs en report (c’est-à-dire plus chères) sur la prochaine campagne à Chicago (ce qui n’est pas le cas sur Euronext). Il incite donc les producteurs à attendre des jours meilleurs, quand les prix sont jugés trop bas. Seuls les besoins de faire de la place et les besoins en trésorerie (qui dépendent en partie des autres cultures à vendre sur l’exploitation et des aides à percevoir), entraînent des ventes sous les coûts de production. La rétention des agriculteurs est donc une arme à double tranchant, limitant la baisse des prix lorsque l’offre excède la demande, mais bornant aussi la hausse lorsque la consommation progresse, puisque tous les vendeurs ressortent au même moment. Cela explique en partie pourquoi le prix du maïs aux USA, ressemble à un encéphalogramme plat depuis cinq saisons.
Le souci, c’est qu’à toujours espérer un retournement du marché, il arrive que l’on rate les bons signaux. Le temps, ce n’est pas toujours de l’argent ! Aujourd’hui, les USA croulent sous les stocks de blé, de maïs et de soja. Et comme il faut bien planter quelque chose, les prochains semis risquent d’empirer la situation, si une catastrophe n’arrive pas dans un autre pays exportateur ou si la demande reste molle. Ce contexte a donc tourné à l’avantage des OS qui sont devenus très sélectifs dans leur collecte, faute de place. Le prix du stockage en dehors des exploitations a explosé, et les aides accordées par Trump sur le soja pour compenser la chute des prix liée à la guerre commerciale avec la Chine, n’ont fait que financer les stocks. La situation est particulièrement difficile en maïs, pour lequel le niveau de ces aides exceptionnelles est ridicule.
La psychologie des producteurs et leur maîtrise des marchés à terme, couplée à leur capacité de stockage, sont donc des éléments essentiels à intégrer dans nos analyses. Ainsi, en Argentine, le stockage des graines de soja à la ferme est un outil d’arbitrage incontournable de l’inflation (près de 50 % sur le seul mois de janvier). Il interfère donc entre les volumes produits et ceux mis réellement au marché. Il explique pourquoi la hausse des exportations de graines constatée ces derniers mois, n’est possible… que via l’importation de graines en provenance d’autres pays, moins chères à capter que celles produites localement !
La Chine face à la rétention des agriculteurs argentins
En savoir plus : Dans une deuxième partie, il sera question du transport, qui là aussi rebat les cartes et ne peut être occulté des raisonnements de marché.