L’Histoire conte la vie des rois et néglige celle des paysans. Jean-Marc Moriceau, historien, répare cet oubli. À partir d’une somme d’archives, il (re)donne vie au quotidien du peuple des campagnes entre 1435 et 1652.
En ce temps-là, « il n’y avait pas besoin d’un Salon de l’agriculture pour savoir ce qu’était un mouton. Les paysans et les ruraux représentaient 85 à 90 % de la population. Pourtant, ils n’avaient pas voix au chapitre. Dans les archives, soit on en parlait vu d’en haut, soit on parlait des grands hommes ». Spécialiste de l’histoire des campagnes à l’université de Caen, Jean-Marc Moriceau répare cette injustice, en « faisant entendre leur voix, vu d’en bas ».
L’historien s’est intéressé à une époque qui court de 1435 à 1652. « C’est la période la plus lointaine possible » permettant de s’appuyer sur une documentation solide. On démarre à la fin de la guerre de Cent Ans, « les campagnes étaient à feu et à sang ». On termine par la Fronde, « une guerre civile atroce ». Le trait d’union de ces deux siècles : une insécurité quasi-permanente. Difficile de résumer ces 550 pages. Le lecteur suit le fil, chronologiquement, et découvre des réalités souvent méconnues.
Paysans en mouvement
« Il y avait des pans d’Histoire oubliée. » On corrige certaines idées reçues. « On a souvent tendance à considérer que jusqu’aux guerres de Religion, les campagnes étaient pacifiées. » Or, ce n’était pas le cas : après la guerre de Cent Ans, la reconstruction a duré près de 90 ans, au cours desquels les campagnes étaient ensanglantées par d’anciens soldats désœuvrés. Devenus des bandits, ils pillaient et violaient. Sous François Ier, pourtant associé au raffinement de la Renaissance, le « roi Guillot » et ses troupes ont semé la terreur du Lyonnais à l’Anjou où il a fini par être vaincu.
Autre découverte : on a tendance à imaginer des campagnes figées. « Or, les gens bougent. Il y a une grande mobilité intermittente, de 50 à 200 km à pied, pour aller vendanger ou en pèlerinage. »
Peu de traces écrites
Massacres, famine, loups…
Ce panorama dessine la diversité des régions avec une population qui grandit ou disparaît au gré des fléaux. Durant l’hiver 1481 catastrophique, les cultures gèlent. La soudure suivante génère une famine terrible : 300 000 à 400 000 morts. On y ajoute les épidémies de peste qui décimaient une population en trois mois, les attaques de loups et les razzias des soudards… Non, la vie n’était pas rose. Pourtant, ces chroniques révèlent aussi «comment la campagne se relevait, se transformait».
Le sarrasin à Bazougers
On assiste par exemple à l’apparition de nouvelles pratiques agricoles. En 1446, à Bazougers (53) est introduit le sarrasin (blé noir). « Semée en juin, récoltée en octobre, cette culture de substitution est une bénédiction pour les paysans. » Apparaissent également des produits venus des Indes (Orient et Amériques) : les épices, le dindon, la fève de Calicut, le sainfoin… Les équipements, en revanche, ne connaissent pas de transformation forte.
Les Gilets jaunes d’hier
En savoir plus : La mémoire des Croquants, Chroniques de la France des campagnes 1435-1652, Jean-Marc Moriceau, éditions Tallandier, 28 €.
Rémi Hagel