« L’esprit de la loi Égalim est clairement détourné »

Anne Renouard, éleveuse de porc à Plaintel et présidente de la Coordination rurale des Côtes d’Armor. - Illustration « L’esprit de la loi Égalim est clairement détourné »
Anne Renouard, éleveuse de porc à Plaintel et présidente de la Coordination rurale des Côtes d’Armor.
À l’occasion de l’assemblée générale de la Coordination rurale des Côtes d’Armor, vendredi 19 avril, à Plérin, la présidente Anne Renouard est revenue sur l’actualité agricole et a livré la vision de son syndicat. Interview.

Quel premier bilan tirez-vous de la mise en application de la loi Égalim, suite aux États généraux de l’alimentation ?

Anne Renouard : Reconnaissons qu’il y a eu du travail. Demander aux interprofessions de produire des indicateurs de coût de production pouvant servir de base à la construction était une idée intéressante au départ. Mais nous avons vu que pour certaines filières, tout ne s’est pas passé de manière constructive et transparente : on a senti la toute puissance de l’aval à Inaporc, un médiateur a dû intervenir à Interbev…
À l’arrivée, ces indicateurs ne sont que de simples informations : ils sont notés dans les contrats, mais ne servent pas forcément à calculer le prix payé aux producteurs. Peut-être que la loi n’est pas détournée, mais son esprit l’est clairement.
À la Coordination rurale, nous faisons deux constats : la loi ne donne pas de définition de la prise en compte des indicateurs et elle ne remet pas en cause la compétence des conseils d’administration des coopératives pour fixer le prix d’apport. Comme cette loi n’oblige à rien, elle est inefficace.

À vos yeux, la distribution a su encore une fois tirer son épingle du jeu…

A. R. : Et elle n’est peut-être pas la seule. Dans une récente réunion à Paris, le ministre de l’Agriculture a confié ne pas savoir qui dit vrai entre les distributeurs et les industriels de l’agroalimentaire. Il a indiqué ouvrir une enquête parlementaire sur les marges de la distribution. À côté de cela, dans un monde où la revente à perte est interdite, l’agriculteur reste le seul autorisé à vendre en dessous de son coût de production.
Pour revenir à la distribution, elle s’adapte très vite. Dès que l’ordonnance sur l’encadrement des promotions est passée, elle a contourné l’obstacle en faisant désormais des remises sur les cartes de fidélité de ses clients. Sans oublier qu’en étant propriétaire des marques de distributeur (MDD), les distributeurs ne sont pas dans le cadre d’une revente et n’ont pas dû remonter leur seuil de revente à perte (SRP). Cela peut paraître anecdotique, mais les MDD concernent 65 % de la viande hachée, 56,5 % de l’emmental, 48 % des yaourts nature… Sur ces créneaux, marchés des produits parmi les plus consommés, on ne peut donc compter que sur la bonne volonté des commerçants… Ou leur mauvaise foi. À l’origine, la loi Égalim représentait un réel espoir. Au final, c’est une mascarade.

Pour les adhérents à votre syndicat, quelles sont alors les pistes pour favoriser le revenu des agriculteurs ?

A. R. : Malgré les difficultés, nous ne sommes pas défaitistes. Une bonne partie des solutions se trouve à Bruxelles. Il est nécessaire d’appliquer des mécanismes efficaces de régulation et de protection des filières de production au niveau européen. Ceta, Tafta, Jefta… Il est indispensable de revoir les accords de libre-échange qui menacent clairement notre agriculture. Enfin, au sein de l’Union européenne, il est important de trouver le bon équilibre dans un environnement de pays aux réalités sociale et fiscale très différentes pour ne pas se concurrencer les uns les autres.

Stop aux agriculteurs dans le viseur

Ces derniers temps, il y a eu de nombreuses attaques contre les agriculteurs dans les Côtes d’Armor. Notre travail quotidien, dans les fermes et dans les champs, est en danger. Une association qui scande « Cognons ensemble sur les empoisonneurs », une autre qui lance un appel aux gens à devenir « sentinelle de la nature » en faisant des signalements de parcelles désherbées, une autre qui mène des visites illégales dans des poulaillers et porcheries… Pour moi, ce sont clairement des incitations à la violence, de la délation malhonnête, des infractions… Les personnes qui entrent dans les bâtiments, passant d’élevage en élevage, engendrent des risques sanitaires majeurs : alors qu’en porc, la filière est en vigilance pour la peste porcine, ils peuvent transporter des pathogènes sur leurs chaussures ou leurs mains. Ils sont susceptibles d’administrer un produit interdit, d’endommager un ventilateur ou un système de ventilation. Ils perturbent le bien-être des animaux qui sont habitués à une routine, des horaires, des bruits, des odeurs…

Le stress induit peut provoquer des accidents. Ces risques concernent même la santé publique puisque l’élevage est le premier maillon de la chaîne de la viande pour l’alimentation humaine. Actuellement, de plus en plus d’agriculteurs sont agressés verbalement, psychologiquement et physiquement. Nous avons alerté l’Administration et les responsables politiques. Certains évitent de passer en tracteur dans leur bourg, d’autres ont du mal à sortir le pulvérisateur… Il y a beaucoup de lassitude. Même si le contexte est difficile, je garde pourtant espoir dans la nouvelle génération, grâce à sa motivation et à sa capacité d’innovation, pour relever le défi. Pour cela, il leur faudra tout de même des prix rémunérateurs.


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