Le transport est la deuxième composante de la logistique à intégrer dans les raisonnements d’une analyse de marché, de court comme de long terme.
Pour nourrir la planète, il ne suffit pas de produire, il faut aussi acheminer les denrées agricoles jusqu’au client. Une évidence qui ne coule pas de source, tant certains pays producteurs et/ou consommateurs n’ont pas une logistique à la taille de leurs ambitions. Le Brésil est le premier exemple qui vient à l’esprit. Le pays a souffert d’une corruption à grande échelle pendant les années fastes des matières premières. Des sommes faramineuses, dédiées aux routes notamment, ont été détournées, empêchant les investissements indispensables pour désenclaver les états du Centre Ouest où progressent les cultures d’exportation.
L’autoroute du soja non terminée
La BR -163, fameuse « autoroute du soja » dont un tronçon n’est toujours pas bitumé, fait régulièrement la pluie et le beau temps sur le marché local, en période de récolte. Cette année ne déroge à la règle, avec des intempéries qui ont ralenti voire stoppé fin février, les approvisionnements des grains entre le Mato Grosso (gros état producteur), et les ports du nord du pays. L’achèvement de cette autoroute ressemble tant à l’Arlésienne qu’un pool de négociants (les ABCD1 et Amaggi) envisage de faire une offre conjointe pour y exploiter un tronçon de 1 000 km sur une période de 10 ans. La concession est arrivée à expiration et le ministère de la Privatisation souhaite y attirer des investisseurs pour terminer les travaux. Parallèlement, ces mêmes négociants étudient des investissements dans un chemin de fer qui doublerait l’axe routier. Il faut dire que l’enjeu est de taille, avec 28 % des exportations de soja et de maïs transitant déjà par la BR-163 en 2018. N’oublions pas que le canal de Panama, facilement accessible à partir des ports du nord du pays, voit son trafic fortement progresser depuis son élargissement, mais reste trop cher pour de nombreuses denrées agricoles.
L’expédition de grains vers la Chine, via le cap de Bonne Espérance, reste moins onéreuse malgré la distance plus longue. C’est pourquoi les opérateurs portuaires brésiliens, y compris Cargill et Bunge, militent pour une réduction des tarifs sur le canal, ce qui permettrait de rendre plus accessible mais aussi plus rentable les flux vers leur partenaire chinois. En attendant, le camion restant le premier mode d’acheminement brésilien vers les ports, tout ce qui touche à ce secteur impacte le prix des denrées agricoles. Après la hausse des taxes autoroutières il y a deux ans, le gouvernement a décidé en 2018 d’une hausse du prix du fret (prix minimum obligatoire) qui ne passe pas sur le terrain. Des grèves de transporteurs devraient encore émailler la saison en cours. Certains analystes ont même révisé leurs objectifs à l’exportation sur la campagne 19/20, prenant en compte un coût d’acheminement en forte hausse qui entraînera une moindre compétitivité des négociants mais aussi une rétention possible dans les campagnes.
Le Mississipi, l’aorte céréalière
Aux États-Unis, le Mississipi est l’aorte céréalière (3 780 km) sans laquelle rien n’est possible. Les barges dominent le commerce agricole américain puisque 16 % seulement des cultures prennent la route, contre 83 % en Argentine et 60 % au Brésil. Mais lorsque les rivières débordent, que les routes et les ponts s’écroulent, comme c’est le cas actuellement, la machine s’enraille et les primes explosent ou s’effondrent selon l’accessibilité des grains. Avec la fonte des neiges dans les états du nord de la Corn Belt, le niveau des eaux devrait rester problématique jusqu’en mai, grevant le potentiel exportable du pays dans les prochaines semaines.
Au Canada, c’est le rail qui tient la vedette
Dans l’état canadien du Saskatchewan, très gros exportateur de blé, canola et pois, la Compagnie des chemins de fer nationaux (CN) investit plus de 163 M€ cette année, pour étendre le réseau ferroviaire. Il s’agit aussi d’améliorer la disponibilité des wagons et des locomotives, qui s’est avérée le maillon faible de la chaîne logistique ces dernières années. Ce montant est en hausse et fait partie des 2,6 Md€ que CN va injecter en 2019 pour faciliter les filières d’exportation. Une ambition nationale dont les céréaliers français peuvent être jaloux ! Heureusement pour ces derniers, l’indice des Panamax (les vraquiers qui transportent les céréales sur les océans) a chuté de plus de 50 % par rapport à l’an dernier, à un niveau historiquement bas, qui abolit les distances et laisse la compétition ouverte entre les pays exportateurs de grains.
1 Archer Daniels Midland Co. (ADM), Bunge Ltd, Cargill Inc, Louis Dreyfus Co (LDC)