Dans le monde du vivant ne survivent pas forcément les organismes les plus forts, mais d’abord ceux qui s’entraident. Cette loi de la nature, qui fait la part belle aux coopérations de toutes sortes – symbiose, commensalisme – , fonctionne pour les champignons, les plantes, les animaux… et pour l’homme. C’est ce qu’est acharné à démontrer le zoologiste et anthropologue russe Pierre Kropotkine (1842-1921) longtemps gardé dans l’ombre de Darwin qui, lui, entrevoyait d’abord la sélection naturelle sous l’angle de la compétition. L’esprit de concurrence économique et l’individualisme qui animent nos sociétés contemporaines sont aussi les héritiers de ce courant pensée darwinien : gagner, être le meilleur.
Pendant longtemps, les paysans ont été plus « kropotkiniens » que darwiniens. Sans doute aussi parce que l’environnement et les conditions de travail difficiles obligeaient à l’entraide. Et aussi parce que s’entraider fait sens dans la vie d’un homme.
Excitées par la quête de la réussite et de l’enrichissement personnels, les zones rurales ont fini par céder à l’individualisme pourtant contre-nature chez l’humain. Dans cet environnement égocentrique, il n’est pas surprenant que les initiatives agricoles visant à mettre sur pied de nouvelles organisations de producteurs éprouvent tant de difficultés à aboutir. La réussite individuelle étant plus valorisée que le succès collectif. Il est fort probable que les coopératives, marchés au cadran, Cuma, etc., constitués dans les années 60-70 n’auraient pas connu le même succès aujourd’hui. Ne faudrait-il pourtant pas relire Kropotkine: « Les espèces animales où la pratique de l’aide mutuelle a atteint son plus grand développement sont invariablement plus nombreuses, plus prospères. » Et puisque l’homme est un animal…