Nicolas Bellec a résolu une partie de ses problèmes de main-d’œuvre en embauchant un salarié en provenance d’Érythrée. En échange, il donne de son temps…
« J’ai contacté une consultante, qui accompagne des étrangers en entreprise, pour lui faire part de mes besoins de main-d’œuvre. Elle est venue, un samedi matin, en novembre dernier, accompagnée d’Hagos, un jeune Érythréen. Ils ont visité mon élevage de 450 truies, naisseur engraisseur ». Hagos est un migrant, passé par la Libye, l’Italie, le Portugal, Paris et enfin Lorient. « Suite à cette rencontre, je l’ai embauché sur l’atelier post-sevrage engraissement. Il travaille bien, en relative autonomie. » Et pourtant…
De la chèvre au cochon
Le choc a été rude pour le jeune Africain, habitué aux chèvres de sa campagne natale et aux grands espaces désertiques. Hagos a découvert une espèce animale quasiment inconnue, même s’il n’est pas musulman, et surtout un mode d’élevage intensif, difficile à imaginer dans la corne de l’Afrique. Aujourd’hui, 6 mois après son embauche, les vaccinations, les soins, les tatouages, les transferts d’animaux n’ont plus de secrets pour lui. « Il a eu un peu de difficultés au début, confronté à la maladie et à la mort de certains animaux, inévitables dans des élevages de cette dimension, surtout en maternité. Actuellement, cela ne lui pose plus de problèmes ». Les soucis ne sont pas d’ordre technique. « Il est vraiment méticuleux. Le travail est bien fait. Au début, il avait quelques problèmes avec les horaires. Il avait du mal à s’arrêter au moment de la pause de midi… Il a pris le rythme ; il part à l’heure désormais… », s’amuse l’éleveur. C’est en termes de communication que les problèmes subsistent.
Barrière de la langue
Hagos parle peu le français, et pas du tout l’anglais. « Nous l’associons à nos discussions ; nous tentons de communiquer lors de nos pauses-café quotidiennes. Avec les deux autres salariés de l’élevage, cela se passe plutôt bien ». Mais le travail est à faire et le temps manque. Un bénévole du village (Moustoir-Ac) lui donne un cours hebdomadaire d’une heure mais il en faudrait plus. « Je voudrais qu’il suive des formations techniques dispensées par le groupement, mais actuellement, c’est encore trop tôt, compte tenu de son niveau de français ». Tous les lundis soir, il participe à une activité multi-sport qui lui permet de s’échapper un peu de l’univers du travail. Car Hagos habite au village, à quelques centaines de mètres de l’élevage, dans un logement que son employeur lui a trouvé.
« Je fais les chèques pour lui au propriétaire, car il ne sait pas écrire ». Embaucher un tel salarié n’est pas une sinécure. « Il faut donner de son temps », assure l’éleveur. « Ma mère l’a amené plusieurs fois à la médecine du travail mais il y avait un problème de compréhension. Au final, c’est un copain à lui (basé à Lorient) qui a servi de traducteur ». Hagos a un vélo, donné par l’association qui l’a pris en charge à son arrivée, mais n’est pas autonome pour faire ses courses à Locminé, ville la plus proche, située à quelques kilomètres. « Je m’arrange pour faire des courses en même temps que lui… ». Il paie avec sa carte de crédit. Le salarié est rémunéré au Smic horaire.
Rapprochement familial
L’homme est marié. Sa femme et son fils de 4 ans vivent en Éthiopie. Des démarches sont en cours pour un rapprochement familial. « Ce sera un soulagement pour lui, même s’il a l’air de se plaire ». Il part souvent à Lorient le weekend, où il retrouve des compagnons de voyage, immigrés comme lui. « Il va en bus jusqu’à Vannes, puis en train jusqu’à Lorient. Pour ça, maintenant, il se débrouille seul ». Un soulagement. À des collègues qui s’interrogent sur le recrutement d’un réfugié, Nicolas Bellec conseille : « C’est possible, mais c’est un investissement. Un éleveur, associé d’une maternité collective (où seuls des salariés travaillent), m’a appelé. Je lui ai dit de ne pas embaucher un tel salarié. Ils ne sont pas employables dans des structures où il n’y a pas une personne motivée et impliquée pour suivre les démarches administratives et personnelles nécessaires ». L’éleveur espère simplement que ses efforts seront payants pour fidéliser son nouveau salarié.
L’employeur n’est pas un sauveur
Avec la langue, la mobilité et le logement sont les principaux freins à l’embauche de réfugiés, surtout dans les fermes, qui sont éloignées des réseaux de bus. Les réfugiés se font rapidement des amis dans la ville d’accueil où ils vivent avec d’autres personnes ayant plus ou moins le même parcours. Repartir en campagne est pour beaucoup d’entre eux un nouveau déracinement. À Lorient, par exemple, ils privilégient un travail au port, accessible facilement. Le permis de conduire favorise l’emploi mais tous ne l’ont pas. L’isolement en campagne peut conduire à l’échec d’intégration même s’ils sont très autonomes. Ils ont traversé beaucoup de difficultés et de pays avant d’arriver dans notre région. Il ne faut pas les infantiliser. L’employeur ne doit pas se prendre pour un sauveur. Il n’est pas un assistant social, même s’il peut aider au niveau des démarches administratives. Il doit rester employeur, avec un minimum de distance.Annabelle Evanno, consultante