Face au recul des antibiotiques, le monde de l’élevage se tourne vers les vertus des plantes. Non sans friction.
Praticien dans l’Ouest, Dr Loïc Jouët travaille sur des solutions alternatives en phytothérapie face à certaines pathologies, comme l’œdème mammaire chez la vache laitière. « Les traitements allopathiques conventionnels font appel à des corticoïdes qui donnent lieu à un avortement assuré lors d’un usage en gestation. Ma solution est utilisable sans risque avant mise-bas et les retours terrain sont très favorables… », a rapporté le vétérinaire lors d’une journée phytothérapie en productions animales à Ploufragan (22). « Mais quand je mets au point ces protocoles de soins faisant appel à l’aromathérapie, je suis déjà dans une situation inconfortable car illégale… Cependant, je vois beaucoup d’éleveurs qui commandent des huiles essentielles sur internet, sans garantie, pour alimenter leur pharmacie cachée. Je me dis qu’en tant que vétérinaire, je peux faire mieux. »
Absence des laboratoires
Pour l’œdème, comme pour la plupart des pathologies, il n’existe pas de médicament à base de plantes possédant une AMM (Autorisation de mise sur la marché). Le spécialiste a donc recours à une « préparation magistrale », une préparation effectuée « en l’absence de spécialité pharmaceutique pour un patient précis, à la suite d’une ordonnance nominative ». Pour ce faire, il associe huiles essentielles (voie cutanée) et extraits de plantes sèches (voie orale).
En réalité, l’usage des plantes est une véritable jungle. Devant les formations d’éleveurs à l’aromathérapie, Administration et monde vétérinaire ont fini par monter au créneau. « Quand j’entends que des éleveurs vont faire leur cueillette de plantes, cela me fait froid dans le dos. S’il existe des interactions entre phytothérapie et traitement allopathique en humaine, pourquoi n’y en aurait-il pas en médecine vétérinaire ? », lance Isabelle Rouault, référente nationale pharmacie vétérinaire pour la DGAL.
D’un autre côté, les laboratoires n’investissent pas dans la phytothérapie. Alors que, de par son objectif de baisse de la consommation d’antibiotiques, le Plan EcoAntibio soutient la recherche sur des traitements alternatifs. « Mais beaucoup de freins persistent et il n’y a pas de demande d’AMM en phytothérapie. Les dossiers ont pourtant été allégés et les taxes diminuées pour encourager les dépôts. »
Malgré tout, l’usage des plantes se démocratise sous forme d’aliments complémentaires aux vertus parfois murmurées sur le terrain : gestion des parasites ou des diarrhées des veaux, renforcement de l’immunité, lutte contre le stress oxydatif… On ne parle pas d’anti-parasitaires, mais de renforcement des défenses de l’animal face aux parasites. C’est le grand flou, on joue sur les mots et on marche sur des œufs. « Des spécialités au statut mal défini, distribuées par de nombreux acteurs, accompagnées de divers discours plus ou moins sérieux… », estime la représentante de l’Administration. « Le risque pour l’utilisateur, l’animal ou le consommateur n’est pas ou peu perçu. » Elle dénonce également une « traçabilité défaillante » en l’absence d’enregistrement des traitements.
Des distributeurs de ce type de produits s’étonnent : « On met la pression sur les filières pour limiter les antibiotiques mais on ne nous laisse pas développer d’alternatives. En Espagne, la phytothérapie est beaucoup utilisée… » En France, sans faire de bruit, les spécialités à base de plantes font leur trou. De façon un peu« hypocrite », juge Isabelle Rouault qui rappelle qu’elles ne peuvent porter « aucune allégation préventive ou curative contre une maladie ».
Médicaments déguisés en aliments ?
Éric Vandaele, d’Auzalide Santé Animale, précise : « Pour formuler ces aliments complémentaires, les fabricants font ce qu’ils veulent en piochant dans le registre fourre-tout des matières premières qui ne sont ni évaluées, ni autorisées. Avant de remplir l’étiquette avec la liste des allégations diététiques permises comme “réduction du risque d’acidose” (ruminants), “soutien de la régénération des onglons et de la peau” (ruminants et porcs), “stabilisation de la digestion physiologique” (toutes espèces)… Réduction du risque ne voulant pas dire prévention. » Mais l’observateur met tout de même en garde contre ce concept de phytodiététique sans statut qui se voudrait phytothérapie sans AMM. « Il y a tout simplement des risques de poursuites administratives, pénales et fiscales à vendre des aliments qui sont des médicaments. »
En sécurité avec une ordonnance
Le message aux éleveurs est simple : phytothérapie égale médicament égale prescription vétérinaire. Et médicament veut dire enregistrement dans le registre d’élevage… Le praticien est responsable du choix du traitement et s’engage sur le temps d’attente à respecter. Il doit obligatoirement rédiger une ordonnance qui engage sa responsabilité personnelle et couvre par conséquent l’éleveur. Un éleveur qui a une ordonnance de son vétérinaire est en sécurité, y compris en cas de contrôle. Cette ordonnance doit être conforme et complète : nom ou formule du médicament, indication thérapeutique, composition, posologie, durée du traitement, voie d’administration, précautions d’emploi, temps d’attente… Et l’étiquetage d’une préparation magistrale doit reprendre ces informations ainsi que la date de préparation et la DLU, les précautions de conservation, le numéro d’enregistrement à l’ordonnancier, les mentions « à usage vétérinaire » et « substances vénéneuses »… Isabelle Rouault, Direction générale de l’Alimentation