Affuté dans de très nombreuses disciplines de lancer de couteaux, Pierre Cazoulat est capable de planter sa lame à des longues distances, et selon différentes techniques.
La porte d’entrée fait tinter le carillon prévenant le commerçant de l’arrivée d’un client. Ce dernier est accueilli par une peau d’ours étalée sur le sol, la tête du plantigrade montrant les dents puissantes. Pas de doute pour le visiteur, il trouvera dans cette boutique de centre-ville de Callac (22) tout ce qu’il lui faudra pour ses activités de chasse et de pêche.
Pierre Cazoulat a repris le grand magasin tenu jadis par son grand-père, la décoration est restée d’époque. Tout au fond de cette enseigne et en traversant les grandes pièces garnies d’un plancher en bois, 3 cibles suspendues attendent de recevoir des projectiles pointus : Pierre Cazoulat a plusieurs fois été sacré dans des concours nationaux et internationaux d’une discipline qui demande précision mais surtout concentration et travail sur soi : il est un des meilleurs lanceurs de couteau au monde.
[caption id= »attachment_41234″ align= »aligncenter » width= »720″] Les couteaux sont découpés au laser. Le lanceur leur donne leur forme dans son atelier.[/caption]
Les portes ont souffert
Déjà tout petit, le futur champion montait les escaliers du magasin pour s’exercer au grenier. Et malheur à la porte ou au poteau qui croisait son chemin, les couteaux lancés venaient se planter dans leur cœur. « J’étais fasciné par le bruit de la lame qui se plante », se souvient-il. « Je mitraillais tout ». Cette passion pour le lancer lui a d’ailleurs valu des travaux de rebouchage après entraînement…
Petit à petit, Pierre Cazoulat acquiert de l’expérience dans le domaine. « Je lançais en demi-rotation, en saisissant le couteau par la lame. J’ai essayé de comprendre la mécanique du lancer ». Un jour, un jet plus lointain à près de 4 mètres donne au jeune garçon de l’époque matière à réflexion. Il comprendra plus tard que la distance de lancer est liée à un nombre de rotations à donner au couteau. Des centaines de couteaux seront cassés, car non adaptés à la pratique, pour parfaire les gestes.
[caption id= »attachment_41232″ align= »aligncenter » width= »720″] Ces couteaux spéciaux sont utilisés pour le non spin. Il se lance d’une manière particulière et élégante.[/caption]
Dans le bain des championnats
En 2008, Pierre Cazoulat découvre par hasard la discipline sportive dans un salon professionnel. C’est alors parti pour de nombreuses participations, avec à la clé le record de France en longue distance, grâce à un lancer à 14 mètres.
Plus tard, au terme d’un séjour où le Costarmoricain est guide de chasse au Québec, le lanceur profite d’être outre-Atlantique pour se rendre au Texas, afin de participer au Championnat du monde. Il y décroche alors son 1er titre, dans la catégorie dégainer-lancer : deux compétiteurs côte à-côte doivent planter le premier leur couteau dans une cible dès qu’un signal sonore est émis. Le compétiteur termine second en longue distance, avec un lancer à 18 mètres. « Je n’étais alors pas bon en précision. J’ai travaillé ce point ». À l’inverse de, d’autres sports comme le tir au pistolet ou à l’arc, le lancer de couteau demande dans un premier temps de planter sa lame dans la cible. La précision se travaille ensuite.
Caramba, encore raté
Les lanceurs de couteaux ont quelque chose de fascinant. L’image de l’agent secret abattant son ennemi furtivement en lançant son couteau fait partie des meilleurs scénarios de roman. Pourtant, Pierre Cazoulat tempère ces idées. « Il est très difficile voire quasi impossible de planter quelqu’un en lançant un couteau ». La distance, la rotation de la lame sont autant de paramètres qu’il faudrait maîtriser instantanément. Mais une autre technique de lancer, nommé no spin, consiste à effectuer un lancer sans rotation de la lame. Le couteau, guidé par l’index qui sert de rail, part comme une flèche. « Cette technique peut s’avérer très dangereuse et efficace si le couteau est lancé sur un individu », conçoit Pierre Cazoulat. Certains héros de bande dessinée auraient dû s’en inspirer pour récupérer le fétiche à l’oreille cassée dans une histoire d’Hergé, pour atteindre un jeune reporter à houppette, et éviter de jurer « Caramba, encore raté ! »
Fabrication maison
La pratique de ce sport demande d’énormes qualités de maîtrise de soi. Les gestes sont précis, doivent se réaliser en parfaite décontraction. « On n’atteint jamais la perfection, on peut y consacrer sa vie. Le lancer de couteau est comparable à un art martial ». Dans son magasin ou ailleurs, le champion partage sa passion lors de stage d’initiation. Le novice arrivera alors rapidement à planter sa lame dans la cible. Et plusieurs objets tranchants peuvent être lancés, comme divers couteaux ou des haches.
Les talents de Pierre Cazoulat ne s’arrêtent pas à la pratique du lancer : il fabrique ces lames. « Je reçois les couteaux découpés au laser, j’enlève alors la matière pour leur donner leur forme ». Le soir, le lanceur devient pêcheur sur les rivières bretonnes, un autre de ses violons d’Ingres. Si Callac est la capitale de l’Épagneul breton, elle a été aussi le temps d’un championnat du monde la capitale du lancer de couteaux, en 2014. Pierre Cazoulat a une nouvelle fois brillé sur ses terres, au côté de nations comme les Russes ou les Tchèques très habiles à la pratique.