Le Farm Bill 2018 a renforcé la politique laitière états-unienne pour faire face à la crise qui touche désormais la filière.
Depuis 2000, la production laitière a augmenté de 30 % aux États-Unis. Parallèlement, les Américains grignotent des parts de marché dans les échanges internationaux de produits laitiers (3e exportateur mondial aujourd’hui derrière la Nouvelle-Zélande et l’Union européenne). « Jusqu’alors, le prix du lait aux États-Unis s’était mieux tenu qu’en Europe post-quotas », rapporte Frédéric Courleux, économiste pour le think tank Agriculture Stratégies. « Mais depuis 2017, sa filière est entrée dans la crise. »
« Uniform price » pour tous les éleveurs
Depuis les années 1930, les offices fédéraux de commercialisation du lait (Federal milk marketing order ou FMMO) sont au cœur de la politique laitière américaine « avec comme objectif un prix de base mensuel unique payé à chaque producteur d’une même zone » alors que les transformateurs de mix-produits différents cotisent à une caisse de péréquation propre. « Le lait est un produit non stockable, à travailler frais. Très pragmatiques, les Américains partent du principe qu’il ne peut y avoir de marché concurrentiel entre la production et la 1ère transformation et institutionnalisent la formation du prix du lait : il n’y aura ainsi jamais trois camions de laiteries différentes à se croiser sur les routes de campagne pour proposer un prix différent. Alors que chez nous, une baisse de prix du lait se transforme souvent en augmentation de la marge des industriels. »
Les commodités pèsent moins sur le prix de base
Cependant, alors que la crise a fini par s’installer aux États-Unis, les responsables politiques ont réagi en 2018 avec le nouveau Farm Bill (la Pac américaine en quelque sorte). La loi a fait évoluer la formule de calcul mensuel du prix dans les FMMO. « La valorisation du cheddar a pris un poids énorme dans cet ‘Uniform price’. Selon nos simulations, quand les cours du beurre, de la poudre de lait écrémé ou du lactosérum chutent de 50 %, le prix du lait de base au producteur n’est impacté respectivement que de 6,6 %, 7,3 % et 5,4 %. Mais si le marché du cheddar baisse de 50 %, le prix du lait diminue de 37 %… » Au final, le prix américain est ainsi beaucoup moins sensible aux variations des cours des commodités (beurre, poudre) qui pèsent bien davantage sur les cours laitiers européens et néo-zélandais.
Des aides directes garantissant une marge minimum
L’autre évolution récente concerne le second pilier de la politique laitière américaine. « Contrairement à l’Europe où les discussions sur la réforme de la Pac sont longues et compliquées, la révision du Farm Bill pour 2019 – 2023 a été votée très vite. » En 2014, une réforme importante avait inauguré le système de protection s’appuyant sur des aides directes contracycliques (MPP-DP), ces dernières venant compenser une baisse des cours en assurant une marge brute minimum. L’aide est calculée sur l’écart entre le prix du lait américain moyen et un coût alimentaire estimé à partir des cours du maïs, du soja et du foin de luzerne. « Dans le débat français, on parle d’assurance… C’est une erreur car les fonds qui couvrent ce mécanisme d’aide contracyclique sur marge proviennent directement de l’État fédéral. La participation financière, ou ticket d’entrée, des éleveurs pour adhérer à ce service restant symbolique. » Problème : alors que 50 % des fermes ont souscrit, le système ne s’est presque jamais déclenché. Sur 2014 – 2017, l’USDA a récolté 100 millions de dollars et n’en a reversé que 12 vers les cotisants. « Alors, début 2018, un premier ajustement a abaissé les primes d’engagement et, sur l’année, 254 millions de dollars d’aides ont été distribués. »
Soutien aux fermes de moins de 215 vaches
Puis, fin 2018, un renforcement de cette politique a été décidé. Depuis le 12 juin et jusqu’à fin août, les producteurs de lait peuvent souscrire à ce programme révisé (Dairy margin program ou DMC). Les primes d’engagement ont baissé et cette politique est devenue duale pour soutenir les « plus petites » exploitations. « Pour une cotisation de 2,9 € / t, les producteurs à moins de 215 vaches ont un chiffre d’affaires garanti à 350 € / t sur 95 % de leur production historique. Pour les fermes de plus de 1 000 vaches, le système est moins intéressant : pour un engagement de 34,9 € / t, le chiffre d’affaires garanti est de 330 € / t, soit 295 € net / t. »
Enfin, l’administration Trump a renforcé l’aide alimentaire de 12 milliards en 2018 à 16 milliards pour 2019 : grâce à cela, les gens les plus modestes achètent directement des produits laitiers et contribuent à l’écoulement d’une production laitière en hausse constante. « FMMO, DMC et aide alimentaire, un arsenal pour soutenir la filière laitière états-unienne et lui permettre de partir à l’assaut des marchés internationaux. Une forme de dumping qui risque de peser bientôt sur le lait européen », termine Frédéric Courleux.
Plus de lait pour diluer les charges de structure
En ce moment, le prix du lait remonte un peu et le système de garantie sur marge rassure. Cependant la crise est tout de même là. Je sens depuis un an un impact moral inédit sur les éleveurs. Dans le Wisconsin, état laitier traditionnel, beaucoup arrêtent. Mais toutes les vaches sont reprises, parfois à 200 km de là, car les États-Unis continuent de produire davantage de lait… Globalement, je constate beaucoup d’exploitations en difficultés financières avec des banques qui refusent désormais les ouvertures de crédit à certaines. Les charges de structure demeurent très élevées et les taux d’intérêt autour de 6 % sont pénalisants. La dette atteint parfois jusqu’à 15 000 $ (près de 13 400 €) par vache. Les producteurs n’ont pas le choix que de faire plus de lait pour diluer les charges de structure. On voit ainsi des étables fonctionner avec 160 % de chargement par logette. Franck Gaudin, Directeur commercial chez Big Gaim (Minnesota)
Vers une gestion de l’offre ?
« Le débat sur la gestion de l’offre est vif aujourd’hui aux États-Unis. Le système canadien de quota fait toujours rêver les éleveurs du Nord-Est », rapporte Frédéric Courleux. « Il ne suffit pas d’écouter les signaux du marché comme le croient certains économistes… On se rend bien compte que l’ajustement de la production ne répond pas à la baisse des prix : quand les cours sont dégradés, les producteurs continuent de livrer autant de lait pour chercher à écraser par le volume leurs coûts fixes et irrécouvrables importants en production laitière. » Prix plus bas au-delà d’une certaine référence individuelle, bonus / malus sur le taux de développement, double-prix avec un pivot à 500 vaches pour endiguer la restructuration… Dans la presse spécialisée, de nombreux experts exposent leurs solutions.